Par Pauline Roy et Jean Olivier, Ami-e-s de la Terre
Fin mars 2024, le préfet du Tarn a été acculé à admettre que le site de la Crem’Arbre, à Saïx (81), était une zone à enjeu écologique fort, en conséquence de quoi l’abattage des arbres devait cesser jusqu’au 1er septembre. Retour sur le feuilleton contentieux ubuesque - et non achevé - qui a conduit à cette déclaration.
Épisode 1 : Comment les préfets se sont assis sur leur propre arrêté
L’A69 a fait l’objet d’une autorisation environnementale en date du 1er mars 2023. Cet arrêté, tout en donnant le feu vert aux travaux, les encadre par de nombreuses mesures et conditions à respecter. Parmi celles-ci figure une interdiction d’abattre les arbres dans les secteurs identifiés comme étant « à enjeu écologique fort » en dehors d’une fenêtre temporelle allant du 1er septembre à mi-novembre.
Le bois de la Crem’Arbre, occupé pendant plusieurs semaines par des « écureuils » (militant-e-s occupant les arbres pour empêcher leur abattage), fait justement partie des secteurs identifiés comme étant à « enjeu écologique fort » dans l’arrêté d’autorisation environnementale. C’est pour faire respecter les conditions calendaires d’abattage des arbres sur ce site qu’Agir pour l’Environnement, les Amis de la Terre Midi-Pyrénées, F.N.E. Occitanie-Pyrénées, le G.N.S.A. (Groupement National de Surveillance des Arbres) et l’U.P.N.E.T. (Union de la Protection de la Nature et de l’Environnement du Tarn) ont exercé dès le mois de février de nouvelles actions contentieuses, à la fois sur le plan administratif et pénal.
Auprès du tribunal administratif, les cinq associations ont déposé un référé environnemental afin d’obtenir la suspension de l’abattage des arbres. Las… Le 07 mars dernier nous avons été déboutés au motif d’une part que le secteur était déjà en partie déboisé (nous pourrions appeler cela la justice du fait accompli !) et d’autre part que les deux préfets concernés (du Tarn et de la Haute-Garonne) avaient déclaré que le site n’était plus classé comme étant à enjeu écologique fort. Non seulement l’absence d’arrêté préfectoral complémentaire pour acter ce déclassement n’a pas posé de problème aux juges mais il n’a même pas été demandé aux préfets d’apporter la preuve d’éléments qui auraient éventuellement pu justifier un tel déclassement (par exemple un avis préalable de la DREAL) [1] !
En parallèle, les mêmes associations ont déposé une plainte le 17 février pour obtenir la condamnation de l’infraction du droit de l’environnement que constitue le déboisement d’une zone à enjeu écologique fort.
Épisode 2 : La nature résiste
Après des semaines d’occupation des arbres et d’emploi de moyens de répression susceptibles d’impacter l’environnement (grenades lacrymogènes, flash-ball ou encore projecteurs pour empêcher les « écureuils » de dormir), on aurait pu croire le site déserté par la faune sauvage. Or mi-mars, au milieu de ce chaos, une militante fait constater la présence d’au moins un couple de mésanges bleues. Dès le 19 mars, Jean Olivier, écologue, ex-directeur de F.N.E. Occitanie-Pyrénées et membre du comité toulousain contre l’A69, dépose une plainte contre X. Le procureur diligente des inspecteurs de l’OFB (Office Français de la Biodiversité, assurant la police de l’environnement) qui, après une visite sur place, confirment non seulement la présence de mésanges bleues, avec nidification certaine, mais plus largement la présence de quinze oiseaux appartenant à des espèces protégées. Par ailleurs, le 22 mars, l’OFB confirme au procureur que le bois de la Crem’Arbre est bien une zone à enjeu écologique fort, que le site n’a jamais été déclassé et que l’abattage des arbres est donc illégal jusqu’au 1er septembre. Deux jours plus tard, le préfet du Tarn annonce publiquement que les défrichements cesseraient jusqu’au 1er septembre, dans le strict respect de l’arrêté d’autorisation environnementale.
Épisode 3 : Les oiseaux de la Crem’Arbre vont-ils pouvoir nidifier en paix ?
Pour autant, quelques jours après cette annonce, une occupante des arbres et la propriétaire d’une parcelle voisine au site de la Crem’Arbre remarquent le retour d’une pelle mécanique… Alertées, les associations mandatent un huissier qui constate, le 28 mars, la coupe de nouveaux arbres ainsi que d’intenses travaux de débroussaillage et dessouchage. Immédiatement, une nouvelle plainte est déposée, dénonçant non seulement l’atteinte à des espèces sauvages protégées et à leur habitat mais également la perturbation intentionnelle d’espèces protégées. Depuis, les travaux ont enfin cessé sur ce site.
[1] Le 2 avril 2024, le Directeur Régional de la DREAL Occitanie reconnaissait devant la commission d’enquête parlementaire sur le montage juridique et financier de l’A69 que la parcelle de la CremArbre n’avait été à aucun moment déclassée, et que les coupes d’arbres n’auraient pas dû avoir lieu. Ceci doit faire l’objet d’une plainte pénale pour destruction de biodiversité en bande organisée au titre des articles L415-3 et L415-6.