Synthèse du rapport :
Dans un monde de plus en plus préoccupé par le changement
climatique, l'épuisement des ressources, les pollutions et la
pénurie d'eau, les nanotechnologies ont été abondamment
présentées comme la nouvelle panacée pour sauver
l'environnement. Leurs partisans ont affirmé qu'elles allaient
offrir des technologies énergétiques efficaces, bon marché et
écologiques. Ils prédisent que la nanostructuration de haute
précision et l'usage de quantités moindres de puissants
nanomatériaux rompra le lien entre activité économique et
consommation des ressources. Bref, selon eux, les
nanotechnologies permettront la poursuite de la croissance
économique et l'expansion de la culture consumériste à un coût
écologique considérablement réduit.
Dans la présente étude réalisée par les Amis de la Terre, les
prétentions « vertes » des industriels du secteur sont examinées à
la loupe pour la première fois. Or notre enquête révèle que
l'industrie des nanotechnologies a beaucoup trop promis et
pas assez tenu. Nombre des allégations sur les performances
écologiques des nanotechnologies, et quantité d'annonces de
percées majeures faites par des entreprises qui assurent être à
deux doigts du stade commercial, ne correspondent en rien à la
réalité. Pire, le coût énergétique et environnemental de
l'industrie en plein essor des nanotechs est bien plus élevé que
prévu.
Ce rapport révèle aussi que, malgré leur rhétorique verte, les
gouvernements des États-Unis, de l'Australie, du Royaume-Uni,
du Mexique, du Japon et de l'Arabie Saoudite affectent des fonds
publics à la mise au point de nanotechnologies visant à trouver et
extraire davantage de pétrole et de gaz. Les plus grosses sociétés
pétrochimiques de la planète, dont Halliburton, Shell, BP
America, Exxon Mobil et Petrobras, ont créé un consortium pour
financer des recherches en vue d'accroître l'extraction de pétrole.
Par ailleurs, les performances du recours aux nanotechnologies
dans le secteur des énergies renouvelables ont été
considérablement inférieures aux prédictions. Le rendement de
conversion de l'énergie solaire des panneaux photovoltaïques
nanotechnologiques est encore environ moitié moindre que celui
des panneaux au silicium. Le défi technique consistant à passer de
l'exploit de laboratoire à celui de la fabrication en série s'est bien
souvent révélé impossible à surmonter. En 2009, d'après le groupe
de conseillers du président des Etats-Unis sur la science et la
technologie, 1 % seulement de l'ensemble des produits intégrant
des nanotechnologies concernaient le secteur de l'énergie et de
l'environnement.
Contre toute attente, la consommation d'énergie et les impacts
environnementaux de la fabrication de nanomatériaux sont
extrêmement élevés. A masse de substance égale, fabriquer des
nanofibres de carbone requiert 13 à 50 fois plus d'énergie que
fondre de l'aluminium, et 95 à 360 fois plus d'énergie que
produire de l'acier. Une équipe américaine de chercheurs a
abouti à la conclusion que les nanotubes de carbone monofeuillet
pourraient bien être « un des matériaux les plus énergivores qu'ait
connus l'humanité ».
Vu l'importance des quantités d'énergie exigées par leur
fabrication, certaines applications des nanotechnologies au
domaine des économies d'énergie se solderont même par une perte
énergétique nette. Ainsi, renforcer des pales d'éoliennes avec des
nanofibres de carbone a beau alléger les pales, le début des
analyses de cycle de vie suggère que l'énergie nécessaire pour
fabriquer ces pales nanotechnologiques rend sans doute
énergétiquement plus efficace de s'en tenir aux pales classiques.
Quant aux progrès très médiatisés des nanotechnologies dans le
secteur de l'hydrogène, ils n'en sont qu'à un stade très précoce. Il
est douteux que des voitures roulant à l'hydrogène issu d'énergies
renouvelables soient en circulation dans les dix ou vingt
prochaines années, période durant laquelle les réductions
d'émissions de gaz à effet de serre sont pourtant cruciales. Pour
l'heure, tout essor des voitures à hydrogène renforcerait en
pratique notre dépendance aux hydrocarbures requis pour
produire l'hydrogène.
La majorité des nanoproduits ne sont pas conçus pour le secteur
de l'énergie et auront un coût énergétique net sans le moindre gain
environnemental. La fabrication de clubs de golf super-résistants
renforcés aux nanotechnologies, ou de cosmétiques aux
nanoparticules pour masquer les rides, ou encore d'écrans de
télévision à couleur améliorée, requiert beaucoup d'énergie sans
procurer aucun bénéfice écologique. Or les applications de ce type
sont infiniment plus nombreuses que celles où les
nanotechnologies pourraient offrir de réelles économies d'énergie.
Le coût écologique des nanoproduits est plus élevé que celui
des matériaux classiques. Leur processus de fabrication se
caractérise par une consommation massive d'eau et de solvants.
D'énormes quantités de substances dangereuses y sont utilisées ou
créées comme sous-produits. Par exemple, on ne retrouve dans le
produit final que 0,1 % de tous les matériaux nécessaires pour
fabriquer des nanoproduits pour ordinateurs et autres articles
électroniques. Autrement dit, 99,9 % des matériaux employés se
transforment en déchets en cours de fabrication.
Bien que de grandes incertitudes subsistent, un nombre croissant
d'études démontrent que certains nanomatériaux utilisés pour
la production et le stockage d'énergie ou l'efficacité
énergétique présentent un risque sanitaire et environnemental. On vante beaucoup l'emploi des nanotubes de carbone dans l'électronique, les applications énergétiques et des pièces spéciales de voitures ou d'avions, mais les premières études montrent déjà que certaines formes de nanotubes provoquent des mésothéliomes, une forme de cancer mortel jusqu'ici associé à l'amiante.
La libération de nanomatériaux dans l'environnement pourrait
aussi entraîner une accélération de la formation de puissants gaz à
effet de serre. En raison de ses propriétés antibactériennes, le
nanoargent est largement utilisé dans des vêtements et textiles,
des produits de nettoyage, des articles d'hygiène corporelle et des
revêtements de surface. Or une étude préliminaire montre qu'en
présence de nanoargent, des boues comme celles des usines
d'épuration d'eau dégagent quatre fois plus de protoxyde d'azote,
un redoutable gaz à effet de serre.
Les nanotechnologies ne sont pas le remède miracle qui sauvera
l'environnement. Il est exclu qu'une généralisation
de leur usage – des chaussettes aux crèmes de beauté – permette
de poursuivre le « business as usual » tout en réduisant
substantiellement notre empreinte écologique.
Au mieux, ceux qui avancent de telles allégations prennent leurs
rêves pour des réalités. Au pire, elles relèvent d'un greenwashing
trompeur et fallacieux. Les nanotechnologies sont de puissants
outils qui pourraient, en théorie, offrir de nouvelles façons
d'envisager la manière de capter, exploiter et stocker l'énergie.
Cependant, les Amis de la Terre préviennent que, dans
l'ensemble, le coût énergétique et plus généralement
environnemental de ces technologies est colossal. Au bout du
compte, les nanotechnologies risquent surtout de faciliter une
prochaine vague d'expansion de l'économie mondialisée,
aggravant notre dépendance aux combustibles fossiles et aux
produits chimiques dangereux qui existent déjà tout en créant une
série entièrement nouvelle de périls supplémentaires. En outre, les
nanotechnologies menacent d'altérer irrémédiablement les
portions de nature qui subsistent encore, en les incluant dans le
système de production et de consommation dominant.
« Nanotechnology, climate and energy: over-heated promises
and hot air ».