Voici la retranscription écrite par notre ami Bertrand Frey, de l’interview Aurore Stephant, ingénieure géologue minier, spécialisée dans les risques environnementaux et sanitaires des filières minérales sur Thinkerview le 25 janvier dernier (une version téléchargeable est disponible en fin de cette page, voici le lien pour voir la vidéo) :
Aurore Stephant, est-ce que vous pouvez vous présenter succinctement ?
Oui, bien sûr. Je suis ingénieure géologue minier, je suis spécialisée dans l’évaluation des risques environnementaux et sanitaires des filières minérales. J’ai fait un diplôme d’ingénieur en géologie minière. Ensuite, j’ai travaillé un certain nombre d’années, dans les filières minérales.
Et avant ça ?
Avant ? Maths sup, maths spé ! J’ai choisi un parcours assez scientifique.
Ce n’était pas trop dur, maths sup, maths spé ? Est-ce qu’il n’y avait pas trop de machisme, d’arriérés rétrogrades ?
Si, beaucoup. J’ai vécu une époque - je pense que les choses ont changé aujourd’hui - où notamment la question de l’abstraction mathématique ce n’était pas une faculté qui était associée, en tout cas dans l’imaginaire des enseignants, aux femmes. Donc on en revient aujourd’hui, et heureusement. Et la situation de la femme dans les compétences scientifiques, dans l’expertise, c’est des choses sur lesquelles on a encore je pense, beaucoup de progrès à faire et de travail à mener.
On a décidé de vous faire venir aujourd’hui, parce que votre travail, votre recherche, c’est une de nos principales clés de lecture. Je dirais même une clé de voûte, dans notre capacité à analyser les choses. Et on est vraiment très content de pouvoir discuter avec vous ce soir.
[…]
Est-ce qu’on n’est pas sur un système qui court sans tête, et qu’il ne faut pas un changement de paradigme ?
Complètement, complètement. Comme je vous disais, déjà, le fait est que déjà, par rapport aux usages réguliers, hors transition, ceux que je décrivais tout à l’heure, qui sont dans le quotidien, on était déjà sur des taux de croissance qui étaient énormes, et qui étaient notamment portés, mais pas seulement - je ne parle toujours pas de la transition, je parle : de base -, par le développement de certains pays émergents, qui en fait représentent le secteur de la construction par exemple. Déjà des croissances métalliques sur certaines filières, qui sont énormes. Déjà, de base.
Ce qu’on constate effectivement - vous avez raison d’insister là-dessus -, c’est que aujourd’hui on parle de deux transitions : la transition digitale (ou numérique), et la transition énergétique. Alors je ne vois pas trop ce que c’est que la transition numérique ; si le fait de passer de beaucoup de numérique à très beaucoup de numérique, allons-y. Mais je ne vois pas trop aujourd’hui ce qu’il y a en termes de transition. On a juste une augmentation rapide, dans tous les secteurs de l’existence, depuis le milieu professionnel au milieu personnel ; on a une espèce d’ingérence permanente du monde numérique. Donc si c’est une forme de transition, admettons.
Pour l’instant, je mets de côté la question du numérique, qui est pour moi spécifique. Donc on va parler uniquement de la transition énergétique. La transition énergétique, effectivement, ça a été un des points d’ancrage ; c’est notamment un rapport de la Banque Mondiale, de 2017, qui a expliqué en disant : voilà, nous, on a fait des scénarios à partir des accords de Paris. Avec un scénario 2 °C, 44% d’énergies renouvelables, on a modélisé ce que ça pouvait représenter en termes de métaux, sur trois technologies puisqu’on ne va pas toutes les prendre : l’éolien, le solaire, et le stockage (la batterie stationnaire).
Donc ils identifient un certain nombre de métaux. Intéressant déjà de constater que dans les métaux, les seuls métaux originaux de la liste qui est retenue par la Banque Mondiale, c’est l’indium et le lithium. Sinon, ce n’est que des métaux que vous connaissez : aluminium, plomb, zinc, cuivre, argent, chrome, nickel.
Donc premier enjeu, c’était ce rapport de la Banque Mondiale sur la transition. Et puis alors, on a, suite à cela, la Banque Mondiale qui en fait, va lancer une campagne - excusez-moi, j’en souris, parce qu’il y a tellement de choses drôles dans cette campagne ; ça en devient vraiment drôle à la fin -, ironiquement parlant, qui s’appelle la campagne Planet Smart Mining. Entendez, je ne sais pas : la mine intelligente, ou la mine qui gère intelligemment le climat ; enfin, peu importe. Donc, c’est une grosse campagne de la Banque Mondiale. Vous avez des représentations que j’encourage à aller voir parce que c’est assez merveilleux. Vous avez des dessins qui ressemblent à du Walt Disney, en vert et en bleu. On vous représente la mine, des éoliennes, etc.
Parallèlement, à partir des années 2010 à peu près - peut-être même avant -, mais le nombre de publications augmente ; vous avez de nombreuses injonctions qui arrivent sur tous les secteurs industriels, et pas seulement la mine, en disant ; vous avez une obligation de réduire vos émissions de gaz à effet de serre. Vous vous débrouillez comme vous voulez. Or il s’avère que le secteur minier est excessivement énergivore. A lui seul, il avale 8 à 10% de l’énergie mondiale. Et rien que le secteur minier - or béton parce que souvent on … le béton -, c’est 4 à 7% des émissions de gaz à effet de serre (Mc Kinsey, 2020). C’est les derniers chiffres que moi, j’arrive à trouver.
Donc on a dit : messieurs dames, il faut que vous vous mettiez au travail, il faut que vous réduisiez vos émissions de gaz à effet de serre. Donc on voit des rapports qui promeuvent l’utilisation … on va donc créer des modèles de développement de l’éolien et du solaire sur les sites miniers. Alors je lis ces rapports, notamment un rapport de l’OCDE, qui vous explique à quel point il faut promouvoir et déployer les énergies renouvelables sur les sites miniers.
Très bien. Alors, pour vous donner un ordre de grandeur, de quoi on parle, car vous vous dites : alors il faut mettre quoi, beaucoup d’éoliennes, pas beaucoup d’éoliennes ? Beaucoup de panneaux solaires, pas beaucoup de panneaux solaires ? Pour alimenter un site minier en énergie. Plus de 80% de la dépense énergétique d’un site minier, c’est le broyage. [Le petit caillou, réduit en farine].
Le petit caillou, gros caillou, mis en farine. Et en vraie farine, d’ailleurs. Les tailles de grain, c’est ce la farine. La farine, la même que vous avez dans votre cuisine.
Q : Ca doit être bien pour les alvéoles pulmonaires.
Oui, certes ! Ca fait partie des nombreux problèmes qu’on a. Donc plus de 80% de la dépense énergétique d’un site minier, est pour le broyage. Vous vous rendez compte. En même temps, c’est tellement pas du tout naturel et pas intuitif, de vouloir mettre des amonts de roche sous forme de farine. C’est vrai que c’est quand même hallucinant. Quand on prend ce recul-là, c’est vrai qu’on se dit : oui, il y a un problème, on va dépenser de l’énergie.
Une mine - une, une, une -, une mine moyenne d’or - une seule ; je n’en prends qu’une. En 2015, il y en avaient 399 en exploitation ; j’en prends une -. Production moyenne : 15,9 T (3 g par T, on a fait un certain nombre d’hypothèses). Avec Systext, on a déterminé, d’après les publications scientifiques qu’on a regroupées, que c’était l’équivalent de la consommation énergétique de 30000 foyers en France.
C’est-à-dire que une mine moyenne dans l’année, il faut mettre le parc éolien ou le parc solaire qui permette d’alimenter 30000 foyers : il faut envoyer, hein !
Donc, quand nous on a vu ça, à Systext, c’était dans les années 2017. Dès que le rapport de la Banque Mondiale est sorti, on l’a lu ; on a dit : c’est quoi cette histoire ? Et puis on a comparé avec les autres, et on s’est dit : mais c’est drôle. Déjà il y a un truc qui est amusant, on pourrait presque avoir un système shadok, en fait. Où du coup en gros, on va exploiter des mines, pour produire du cuivre, éventuellement le silicium, qui est un peu particulier. On va prendre du cuivre, du nickel. Je vais prendre des métaux classiques dont on a surtout besoin dans la transition énergétique. On va prendre ces métaux-là, on va les extraire. Et puis du coup, on va en faire des métaux, et puis ensuite des éléments qui vont faire des énergies renouvelables, qui vont alimenter en énergie des mines, qui vont extraire des métaux. Et on recommence.
Donc ça, c’était notre premier paradoxe, en disant : énergétiquement parlant, c’est quand même bizarre, comme modèle. Mais bon, ça peut tourner à l’infini, comme ça. Dans l’absolu.
Ensuite, il y a eu un deuxième enjeu qui nous intéressait. C’était de dire que comme je vous l’ai mentionné précédemment, comment diable est-il possible de faire reposer un modèle avec des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques - alors, avec des technologies différentes, on s’entend : il y a plein de technologies différentes, dans la batterie stationnaire, dans les cellules photovoltaïques, ou dans l’éolien, en fonction de la taille du mât, de la puissance, en onshore, en offshore, peu importe. Mais en l’occurrence, comment on peut expliquer à tout le monde que c’est clairement une énergie verte, alors que, comme tout ce que l’on fait au quotidien : une fois que vous avez une machine, vous avez du métal. On le savait avant : quand on faisait une voiture, avant même d’imaginer y mettre une batterie, vous savez déjà qu’il y a du métal dedans. Il y a beaucoup de personnes qui malheureusement le découvrent aujourd’hui, mais on le savait depuis longtemps.
Q : Ça ne pousse pas sur les arbres ?
(rires). Ça me fait penser à une remarque de quelqu’un qui m’avait demandé, tous les combien ça allait repousser, le métal dans la mine, lors d’une conférence ! Je ne savais pas quoi répondre. Du coup, je dis : très, très, très longtemps ! On ne parle pas d’années ! Le deuxième paradoxe, il était là. Du coup, c’était drôle, de se dire : ça repousse tous les combien !
Q : Dans quel ministère ?
Non, il n’était pas dans un ministère. Justement, c’était une personne que j’avais rencontrée, très gentille par elle-même, dans une conférence. Mais du coup, c’est drôle, qu’on pose cette question : vous pensez que ça repousse tous les combien ? Ce n’est pas un baobab, le truc. Non, ça ne repousse pas. Si, mais enfin, non : non, ça ne pousse même pas, en fait.
Q : On emploie des énergies vertes pour faire des trous dans le sol…
Tout à fait. Donc voilà ; le deuxième enjeu, c’était de se dire : mais en fait, il y a un certain paradoxe. Mais en même temps, sincèrement, ce paradoxe, il ne nous choquait moins, même si je sais que ça a choqué beaucoup de gens. Quand vous connaissez la matérialité de votre quotidien, et puis de toutes les autres machines qui nous entourent, enfin moi je veux dire : quand je monte dans un train, j’ai une idée assez claire et nette dans ce quoi je monte. Du métal, il y en a partout.
Donc, ce paradoxe me choquait moins. Mais, malgré tout, on était resté plutôt sur le premier, en se disant : mais on va tourner comme ça pendant longtemps. Et puis avec le temps, on s’est dit : mais ils sont bons, les gars, en fait. Parce que, ce qu’ils ont dit : ils ont dit, il faut absolument relancer l’activité minière, parce qu’il y a une transition écologique en cours. Et que là l’urgence, c’est l’urgence climatique. Alors, du coup, les gens se disent : oui, oui, oui, effectivement oui, il y a une urgence climatique, oui. Il faut limiter les émissions de CO2. Eh bien oui, oui, oui, il faut relancer. Eh bien oui, puisqu’il faut des éoliennes, des véhicules électriques, et j’en passe, eh bien il faut relancer l’activité minière.
Et puis il y a des gens qui ont dit : mais attendez, attendez. Parce qu’à un moment donné, quand on va faire le bilan sur les matières premières, sur le transport, etc. Alors certes - et encore, ce n’est pas tout le temps le cas : on reparlera des véhicules électriques -, eh bien vous allez peut-être avoir moins d’émissions de gaz à effet de serre. Mais au moment de votre usage. C’est-à-dire vous, en tant que consommateur, si vous faites votre bilan sur l’usage du produit, de fait oui, ça fonctionnera. Mais sur l’amont et sur l’aval, on en parle, ou pas ?
Ah non, on n’en parle pas. Dans la pub, ça ne fait pas bien !
(rires). Donc on n’en parle pas. Donc du coup, on s’est dit : mais en fait c’est extraordinaire, parce qu’il y a des gens qui nous disaient : ah oui, parce que du coup, je m’intéresse beaucoup plus aux questions minières, parce que je me suis rendu compte que c’est nécessaire - et c’était sincère - pour la transition.
Alors oui, mais attendez : est-ce qu’on peut déjà expliquer à tout le monde que c’est nécessaire pour le transport, que c’est nécessaire pour l’agriculture, que c’est nécessaire pour la défense, que c’est nécessaire pour l’aérospatiale. On peut peut-être commencer par ça. Certes, c’est nécessaire pour la transition écologique, mais pas que. Effectivement, c’est quand même beaucoup moins glamour je pense, d’expliquer qu’on a besoin de tant de plus de plomb, pour assurer l’alimentation en réfrigérateurs du monde entier, plutôt que d’une éolienne. Parce qu’une éolienne, c’est quand même dix fois plus sexy qu’un réfrigérateur. Ou qu’une ampoule, d’ailleurs - et on en reparlera, des ampoules, parce que j’ai une dent contre les ampoules -. Du coup, l’idée, c’était ; nous, ce dont on s’est rendu compte, c’est qu’il y a une évolution discursive, mais vraiment, dans le discours public, où on a de plus en plus associé - et c’est vrai, vous avez raison -, il y a des auteurs qui ont fait d’excellents travaux en 2020, 2021. Je pense notamment à une chercheuse, Doris Bon Sao ( ?), qui a fait des travaux extrêmement intéressants justement, sur le lien notamment, dans toute l’approche discursive et normative autour du lien transition et mine. Il y a un nouveau concept d’ailleurs qui est né, qu’on appelle le green extractidism , donc l’extractivisme vert en fait, qui a été mis en place par la société civile internationale, qui dénonce les pratiques graves de l’industrie minière, en disant : mais en fait, il y a un rapport - que je vous incite aussi à regarder -, un rapport de … de 2021, qui traite de ces questions. Et en l’occurrence, dans ce rapport, ils le décrivent très bien. Ce que disent les auteurs, c’est de dire : nous, pendant des années et des années, on a lutté contre les pratiques inacceptables du secteur industriel. On a lutté pour que les pratiques changent, pour que les choses s’améliorent, pour les gens qui habitent autour, pour les gens qui vivent directement ou indirectement de la mine. Et ce que vous avez trouvé le moyen de nous faire, c’est de créer une espèce de vision des choses, qui en fait associe la relance minière à la transition.
Et au vert, donc. C’est magnifique.
Et au vert. Et alors, c’est plus que magnifique : c’est même scandaleux ! Moi mon opinion à Systext, c’est scandaleux. Parce que déjà, c’est malhonnête. Des métaux, il y en a besoin partout. Pourquoi est-ce que vous ne faites pas la promotion des réfrigérateurs ? Pourquoi vous ne faites pas la promotion de tout ça ? Avec en plus, une sémantique, enfin un vocabulaire, qui est extrêmement particulier. Quand on regarde les textes - encore une fois, je me suis basée sur des textes très, très bons. Il y a aussi Stwart Kish ( ?) qui en parle. Il y a plusieurs auteurs, qu’ils soient anthropologues ou sociologues, qui décrivent ça. Moi, je ne suis ni anthropologue, ni sociologue, donc j’écoute les chercheurs qui en parlent, et qui vous expliquent les liens dans les discours. Comment on construit des discours autour de ce lien transition - mine. Donc la mine de cuivre, qui a toujours été une mine de cuivre - et Dieu sait que les mines de cuivre sont problématiques. Pires que d’autres -, eh bien du coup, elle est devenue une mine verte. Mais mine verte, et en vrai ! C’est que vous avez des publications - enfin, il faut être gonflé pour écrire ça, quand même. Enfin moi, je peux écrire plein de choses sur les mines, mais pas une mine verte, quand même -.
L’oxyde de cuivre, c’est de quelle couleur ?
(rires) Seulement pour un des deux cuivres. Enfin, il y en a un qui est bleu. Mais oui ! Du coup, certes oui, vous avez raison. Moi je comprends tout à fait ce que vous dites, en disant : c’est une bonne excuse, ou une bonne façon, de faire des choses.
Il faut bien vendre ça aussi à la population. Si on leur dit : voilà, la transition énergétique, la transition verte, la transition green, c‘est sexy, on regarde vers l’avenir, on regarde en avant, on va protéger les bébés phoques sur la banquise, on va sauver les insectes : c’est vachement bien. Continuons, continuons, continuons. Mais il faut bien prendre le contrôle de la dialectique. C’est dans tous les secteurs. Au départ, le tabac c’était bon pour la santé. Et puis les mentalités changent.
Moi, je trouve que cet exercice dialectique, est malhonnête. Parce que la réalité, elle n’est pas là, elle est complètement ailleurs. Je peux comprendre qu’on dise aux gens : il faut que vous vous projetiez quelque part, et donc il faut que vous croyiez en une transition. Je ne suis pas en train de dire que je suis anti éolienne, et anti panneaux solaires. C’est n’est absolument pas mon propos, diable ! Mais c’est que les scénarios qui sont aujourd’hui présentés, ils sont complètement irréalistes.
Pourquoi ? Diantre, pourquoi ?
Voiture électrique
Prenons un exemple. Je vais prendre quelque chose, qui est une espèce de fer de lance du système : le véhicule électrique. Prenons le véhicule électrique, puisqu’on nous en parle tant. Alors, pourquoi est-ce que c’est un problème ?
Attention, vous allez vous fâcher avec Anne Hidalgo ! Déjà qu’elle m’a forcé à mettre ma voiture au rebus ; 14 ans, 100000 km. On ne peut plus l’utiliser…
La seule voiture qui est vraiment écologique, c’est celle qu’on ne produit pas. Ou celle qu’on utilise le plus longtemps possible.
Ou le moins souvent possible. Ou celle qu’on achète d’occasion. Ou qu’on répare. On n’est pas dans la merde, quand même ? On a des programmes irréalisables… Je suis désolé, je vais sortir un peu de mon cadre. Le véhicule électrique, c’est simplement pour éviter les maladies pulmonaires en ville, pour que les gens continuent de travailler comme des esclaves. On extraterritorialise notre pollution chez les pauvres, ou chez les pays bien dictatoriaux. Quand la rivière devient violette, ce n’est pas grave puisque ce sont les petits Chinois qui vont se baigner dedans. Ainsi de suite.
La politique occidentale a calqué son discours sur : ne vous inquiétez pas, votez pour moi, demain ce sera plus vert. Les mouettes continueront de voler, et les pigeons auront toujours des moyons pour marcher. Pourquoi c’est irréaliste, en termes de soutenabilité ?
Déjà, ce que vous disiez sur le fait que ça permette aux gens de mieux respirer. Demandez à l’agence européenne de l’environnement. 2018 : elle sort un rapport sur le véhicule électrique. Elle vous dit : un véhicule électrique émet 2 fois plus de CO2 qu’un véhicule thermique, si on prend en compte sa fabrication. Ensuite, vous allez voir les chercheurs allemands (2017), qui ont travaillé sur le modèle KD ( ?) Volkswagen. Il faut leur demander à eux aussi leur avis. Ils disent : « heu, on a un problème ; les études ne quantifient pas l’électronique des véhicules électriques. On ne peut pas vous donner l’impact ». Ah, vous dites, ce n’est pas grave, je vais aller voir d’autres personnes. Alors je reviens sur l’agence environnementale. Ce n’est pas l’agence environnementale en fait, mais une autre source (je vais la retrouver).
Par contre, dans le rapport de 2018, l’agence environnementale vous dit : c’est 1 à 2 fois d’émissions de plus de NOx (acide azoté) et de dioxyde de soufre, compte tenu de la fabrication, de l’électronique qui est présente dedans. Ça, c’est un véhicule électrique. C’est ça, la réalité.
Et ce genre de discours, contrairement à ce qu’on pense, ils sont extrêmement présents, aujourd’hui. Chez les chercheurs, et chez les autres. Mais en même temps, c’est compréhensible. Prenons une voiture ; on va faire l’exercice. En gros, il y a 4 grands types de véhicules en électrification du véhicule :
• Le véhicule thermique, qui n’est pas électrifié.
• L’hybride léger
• L’hybride rechargeable
• L’électrique
Du point de vue du métal, à chaque fois que vous passez d’un modèle à un autre, vous augmentez la quantité de métal. Donc :
• une voiture thermique, c’est 20 kg de cuivre.
• L’hybride léger, c’est 40 kg de cuivre.
• L’hybride rechargeable, c’est 60 kg de cuivre.
• L’électrique, c’est 80 kg de cuivre.
Donc en passant du thermique au véhicule électrique, je viens déjà de multiplier par 4 la quantité de cuivre. Sachant que du coup, comme j’ai un véhicule électrique, il va bien falloir que je le recharge, le pauvre. Donc je vais aller le charger sur des bornes. Vous avez des installations de recharge : du niveau 1 , 2, 3…
On va prendre le niveau 3, station de rechargement d’un véhicule électrique : 100 kg, par prise. Et là, je ne vous ai pas encore parlé du réseau qui permet d’électrifier la fameuse borne de recharge. Parce que la borne de recharge, malheureusement, ne s’autoalimente pas toute seule : il faut qu’elle soit raccordée au réseau.
Là, on a pris le cuivre. On ne s’en rend pas compte, mais il y a plein de cuivre dans un véhicule, et c’est bien normal. Mais l’électrification du coup, appelle fortement le cuivre, en principe. Or on électrifie surtout avec de l’aluminium et du cuivre. Donc prenons du cuivre : on a multiplié par 4.
Alors tout le monde fait un patacaisse sur la batterie. On va prendre du coup l’aluminium. Pourquoi l’aluminium ? Parce que vous avez mis une batterie dans votre véhicule électrique, donc il est lourd. Ah, comment on va résoudre le problème ? Des gens ont réfléchi : on va alléger ! On va alléger la carcasse. Alors l’association européenne de l’aluminium vous dit, en l’occurrence : on a déjà observé une tendance à l’augmentation de la quantité d’aluminium, jusqu’à 2012-13, due au fait qu’on a un allègement … c’est déjà une tendance en cours.
Parce qu’ils ont voté des lois sur le poids des véhicules.
Tout à fait. Vous avez tout à fait raison d’insister là-dessus. On a déjà multiplié par 3. De 50 kg d’aluminium par véhicule, on est monté à 140 kg d’aluminium. Et dans les années à venir post 2013, ils disaient : avec l’électrification à venir, on pense qu’on va encore multiplier par 1,5 minimum. Allez hop, on rajoute de l’aluminium.
Alors la batterie, qui forcément cristallise toutes les tensions, la pauvre. Une batterie de véhicule électrique ; vous avez une anode, une cathode, comme dans les électrolyses classiques. Et puis un fluide au milieu, en l’occurrence des sels de lithium le plus souvent. Ce qui polarise toute l’attention, c’est la cathode - en général, l’anode est en graphite. Pour mémoire aussi, en fonction des technologies, un véhicule hybride, c’est à peu près, vous multipliez par 7 ou par 10 la quantité de graphite en passant d’une technologie à une autre (donc environ 10 kg). Donc là c’est pareil : on augmente. -.
Pas grave ; on arrive à la batterie. Donc elle, elle cristallise toutes les attentions, parce que la cathode, c’est à peu près 14% du coût de la batterie. C’est très important. Là, en général, il va falloir mettre des métaux. Les plus connus, c’est NMC (Nickel, Manganèse, Cobalt). Mais il y a toujours du lithium.
Vous en avez qui ont été développés notamment sur les modèles S de Tesla, qui sont à lithium - fer - phosphore. On pourrait reparler pourquoi on s’interroge, pourquoi faire des lithium - fer - phosphore.
Ça donne du travail aux pompiers.
(rires) Non, c’est pour être moins dépendant de NMC (Nickel, Manganèse, Cobalt). Alors, une Zoé : petite voiture, c’est en moyenne 7 kg de lithium, 11 kg de cobalt, 11 kg de manganèse, et 34 kg de nickel. Donc ça vous donne un peu un ordre de grandeur. Alors vous allez me dire : c’est quand même beaucoup.
On a dit 11 : entre 10 et 15, peu importe le chiffre. 10 à 15 kg de cobalt dans une batterie. Un téléphone portable en contient 5 à 10 g.
Il vient d‘où, le cobalt ?
Alors, majoritairement, de République Démocratique du Congo, qui est le pays qui concentre à la fois la plus forte production : il produit plus de la moitié aujourd’hui, du cobalt. Mais il a aussi les plus fortes réserves : il a 50% de ce qu’on espère pouvoir exploiter, ou de ce qu’on pense pouvoir exploiter un jour.
Alors on va leur apporter la démocratie, à ces gens-là. Il faut qu’ils se préparent ; on arrive !
Parmi cette production de cobalt en République Démocratique du Congo - alors ça dépend des chiffres, moi je vais plutôt me baser sur les chiffres d’Amnesty International -, on estime que on est autour de 40% de la production de cobalt qui est réalisée dans des exploitations à petite échelle. Le reste étant exploité à grande échelle.
C’est pour ça qu’on voit des Russes se balader en Afrique un peu plus souvent.
Effectivement. Vous faites appel à une organisation privée...
Philanthropique, c’est ça ?
Non, c’est nous … des organisations philanthropiques ! Ce n’est pas Wagner ! On pourrait en reparler justement, de la question de la sécurisation des …, parce que c’est un énorme problème.
Quand je vous entendais me parler de barrage de rétention de boue, je me disais dans ma tête : ah, là, là, ils doivent être aussi intelligents que ceux qui protègent les piscines de rétention de crayons radioactifs de combustible dans nos centrales. Je me dis : je suis sûr qu’ils ont déployé une batterie antimissile ; ils sont super intelligents, ces gens-là, non ?
Ils sont protégés, les sites miniers, contre les attaques terroristes ? Est-ce que le lobby minier pense que les écologistes sont des terroristes ?
Vous savez que vous m’avez laissé trois questions en suspens, et je tiens à y répondre. Mais ne vous inquiétez pas, j’ai une bonne mémoire et je vais répondre aux trois questions.
Alors, j’essaye de répondre précisément. Je pense que le secteur minier n’était pas prêt lorsque le début des revendications environnementales et le début des revendications locales a émergé. Ils se sont fait dépasser.
Ils avaient l’habitude de graisser la patte des gens ?
Ils avaient surtout en fait, l’habitude qu’il y ait beaucoup moins de protestations. Je pense qu’il y a un décalage entre actuellement par exemple, la façon dont le secteur minier considère la société civile et le secteur pétrolier. Si je prends deux secteurs qui sont vraiment proches. Je pense que ce n’est pas du tout la même chose. Parce qu’il y a eu beaucoup moins d’interactions, historiquement. C’est quand même assez récent qu’on s’intéresse aux questions minières.
Quand j’ai fondé Systext avec une autre personne en 2009, on ne parlait jamais de mine. Jamais, jamais, jamais, dans aucune presse. Tout le monde s’en fichait. Personne ne s’occupait de cette question. 2009, c’était hier.
C’était la belle époque.
(rires) Je ne sais pas si c’était la belle époque ! Je dirais que tout ce qui est les organisations, type association ou organisations gouvernementales, qu’elles soient à l’échelle locale ou nationale ou internationale, effectivement ont eu relativement peu d’interactions. Je pense qu’il y a eu un décalage, un « gap », comme on dit en anglais, entre les attentes de la société civile qui sont arrivées assez massivement, et l’état d’esprit dans lequel se trouvait un certain nombre d’acteurs industriels. Ca c’est une chose. Mais là, je vous ai parlé uniquement de certains acteurs. Là où on considère et où on criminalise les personnes qui luttent y compris pacifiquement, c’est les populations locales, et les mouvements de mobilisation ; et ça ne concerne pas que le Pérou. En 2018, Systext on est allé en Grèce, et on a eu la chance d’assister à des retrouvailles entre des papas qui sortaient de prison, qui avaient manifesté pacifiquement contre un projet minier ; vous en avez peut-être entendu parler : le projet des Skouries, à côté de Thessalonique, à l’Est de la Grèce. En fait, ces gens étaient agriculteurs, ils étaient fermiers. Ils avaient juste envie de défendre leurs terres, et d’expliquer qu’il y avait un problème, parce qu’il y a déjà eu des problèmes parce qu’on a déjà connu la mine dans cette région, qu’on a déjà été victime de pollutions anciennes - et on reparlera dans cette intervention, des pollutions anciennes -. Et donc, ils ont manifesté le plus pacifiquement du monde. Et quand on voyait les motifs sur les jugements, eh bien vous pleurez.
Ça, c’est une forme de répression arbitraire et autoritaire, d’une forme de contestation. Ça a été le Skouries, ça a été Rosia Montana en Roumanie. Et, plus largement aujourd’hui, ce que disent les associations qui travaillent dans le domaine des droits humains, ou des contestations sociales, c’est deux choses. La première, c’est que le secteur industriel tout confondu, y compris le nucléaire, agrobusiness et compagnie ; le secteur qui polarise le plus, qui est à l’origine le plus de conflits environnementaux, c’est le secteur minier. C’est 20% des conflits sociaux et environnementaux référencés dans la base de données EJ Atlas (Environmental Justice Atlas). EJ Atlas, c’est une base de données cartographique en ligne, qui référence les conflits sociaux et environnementaux. Excellente, travail extraordinaire, notamment avec l’université de Barcelone. C’est vraiment un énorme travail. Ils vous disent : « Nous on a 2700 cas, on en a 573 qui sont miniers ». On est à plus de 20%.
Ils sont turbulents, les écologistes. Ils sont inventifs.
(rires) Je ne sais pas s’ils sont inventifs, mais je ne les trouve pas particulièrement turbulents. Par contre, ça interroge : tous secteurs confondus, la mine tient le triste record d’être le premier secteur impliqué, avec 20%. Ca c’est du domaine des sociologues, qui vous disent qu’il y a énormément de conflits sociaux et environnementaux liés à la mine.
Et ça ne va pas s’améliorer.
Et ça ne va pas s’améliorer.
On va tous passer à la voiture électrique.
(rires) Moi je vous préviens, je n’y passe pas. Je ne sais pas qui va m’obliger à avoir un véhicule électrique. En tout cas, je vous assure qu’il n’est pas né. Mais en l’occurrence, tout ça pour vous dire que ensuite, il y a l’enjeu humain.
Vous ne travaillez pas pour le lobby des moteurs thermiques ?
(rires). La grande force de Systext, c’est qu’elle n’a pas d’intérêts. Et ça, ça change beaucoup de choses au quotidien, dans la façon dont on appréhende une problématique.
Vous avez subi des pressions ? Par exemple, comme l’autochtone dans sa forêt, qui nous emmerde toute la journée. Il ne laisse pas passer les tracteurs : il nous ennuie. C’est des points de PIB en moins. Est-ce qu’on vous a mis un peu la pression comme lui, avec un flingue sur la tête, ou une pression sur sa famille, ou des choses comme ça ?
Je n’ai pas été menacée avec une arme blanche, ni un autre type d’arme.
Ça c’est parce que vous êtes blanche, et que vous êtes en France. Est-ce qu’on vous a mis des croche-pattes dans votre carrière ?
Oui. Mais j’ai été épargnée, parce que j’ai séparé ma vie professionnelle de mon investissement associatif. C’est-à-dire que j’ai considéré qu’il y avait deux mondes. Aujourd’hui, à Systext, il y a des gens qui ne travaillent pas dans l’industrie minière, mais qui en sont soit proches, soit qu’ils travaillent sur ces questions-là. Ils ne sont pas dans l’industrie minière, et travaillent anonymement. Et dont on protège l’identité. Parce que, ils ne peuvent pas s’exprimer : ils ont trop peur de perdre leur métier, même s’ils ne travaillent pas dans une industrie minière. Ca va même au-delà. Il y a des gens qui nous appellent, pour nous féliciter de notre travail ; encore une fois, ils ne travaillent pas dans l’industrie : ils travaillent sur des questions minières. Ils nous appellent pour nous dire : « Vraiment c’est super ce que vous faites, ce rapport-là, mais vous savez que je n’ai pas le droit de vous le dire. Je ne peux pas laisser de trace écrite de ce soutien envers vous ».
Donc en fait ce n’est pas une pression, pour moi c’est un état d’esprit. Systext prend le problème en entier : on prend la mine, les techniques minières, les techniques de traitement, les effluents, les populations, la politique, les finances. Et on y va. Et là, on va parler du site minier. Une fois qu’on a tout pris, on va pouvoir discuter sérieusement. Mais d’abord, on essaye de comprendre. Et on prend l’avis de tout le monde. Cette vision-là, elle est plutôt rare. Le fait de dire : on va sortir de la polarisation de la mine et de ses finances, et on va essayer de regarder un peu tous les environnements, toutes les implications et les conséquences. Et du coup, à un moment donné, Systext peut conclure en disant : là il y a un problème, ou là ce n’est pas grave. Cette approche de l’évaluation du risque et de l’importance des événements relativement, c’est parce que vous avez une vision globale. De tout ce qui se passe autour, et pas seulement de votre objet productif qui doit ramener tant de retour sur investissement, etc.
Donc cette approche-là, elle nous est permise. Et comme je le disais, on n’a pas d’intérêts. Je n’ai pas d’intérêts dans la mine, on n’a aucuns intérêts dans la mine. Et puis on n’a pas d’intérêts non plus à protéger une forêt : voilà. On n’a aucun intérêt. On aide tout : on aide la société civile, parce qu’on croit qu’il faut absolument que cette branche de la société se réapproprie les questions minières, elle puisse se défendre, et avoir les mêmes outils que nous on a, pour comprendre les problématiques. Mais on n’a pas d’intérêts.
Je vous réponds ça, parce que je pense que c’est plus un état d’esprit. C’est-à-dire que toute personne qui aujourd’hui, dénonce les pratiques ; encore une fois, on ne dénonce pas la mine en général : on dénonce certaines pratiques qui sont bien identifiées, et qui sont particulièrement graves.
[…]
Et aussi par rapport à cet enjeu de transition, j’ai évoqué la question : 2 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre qu’un véhicule thermique. A ce titre, je vous encourage vraiment à consulter une enquête en trois volets, qui a été menée par Celia Izoard, dans Reporterre [sept. 2020], qui est extrêmement bien faite, qui parle justement de ces questions de véhicule électrique. C’est vraiment très, très bien fait : c’est une enquête d’investigation de long terme. Moi j’ai utilisé beaucoup de rapports qu’elle mentionne. Notamment le fameux rapport de l’agence européenne de l’environnement, dans lequel j’ai retrouvé ces chiffres de NOx, SOx, etc.
On a parlé du coup de la question de la transition, des véhicules électriques. Mais je voulais vous donner un exemple, qui pour moi est un petit peu le même enjeu que le véhicule électrique : c’est l’ampoule. Le petit objet banal de notre quotidien, auquel on ne pense pas alors qu’il est toujours là. Qu’il nous permet d’éclairer nos pièces, etc. Vous n’avez pas fait ça, quand vous étiez enfant ? Vous admiriez l’incandescence du filament de tungstène qui était dans l’ampoule ? Non, vous ne faisiez pas ça ? Alors, j’étais prédisposée. Du coup, je regardais ça, je trouvais ça merveilleux. Et puis un jour, on nous a dit : « La lampe à incandescence, ça consomme trop. On va passer aux lampes fluocompactes ».
Celle qui n’émet pas de radiations ? C’est celle-là ? (Aurore réfléchit). C’était une boutade : la lumière n’émet pas de radiations !
(rires) Oui, pardon ! Vous savez, c’est celles qui ont un verre blanc opaque, et qui a une forme qui fait des tortillons. Du coup je me suis intéressée aux ampoules fluocompactes, parce qu’on m’a dit : c’est une ampoule verte. Vraiment, c’est l’ampoule écolo. C’est une énorme économie d’énergie.
C’est pour ça que je veux faire le parallèle entre l’ampoule et le véhicule électrique. Et vous verrez, c’est exactement la même histoire qu’on nous raconte à chaque fois.
Du coup, je me dis : on va étudier les ampoules, c’est un sujet qui m’intéresse. Donc je commence à regarder un peu la composition d’une ampoule. Je ne suis pas dans l’éclairage, pas dans l’électricité ; j’essaye de comprendre. Et puis je vois en fait qu’une ampoule fluocompacte, c’est un verre qui est recouvert d’une poudre, qui contient des matières luminophores. Donc en l’occurrence, c’est souvent des terres rares (gadolinium, cérium, ou autres), qui sont à l’intérieur de matrices à base de magnésium, à base de baryum, à base d’oxydes d’yttrium, si mes souvenirs sont bons.
Et à l’intérieur, on va exciter - en fait on a une vapeur de mercure et d’argon - cette vapeur. Et les luminophores, parmi lesquels il y a des terres rares, vont émettre. Et vous allez obtenir un gain substantiel d’éclairage. Souvenons-nous qu’une lampe à incandescence a une durée de vie d’à peu près 1000 heures, alors qu’une lampe fluocompacte a une durée de vie d’à peu près 8000 heures. Ne parlons même pas des LEDs, qui peuvent monter jusqu’à 40000 ou 50000 heures. Alors on se dit : mais c’est incroyable, ces lampes !
Et puis après, je me suis aussi renseignée sur les LEDs. Et là, c’est principalement à base de gallium. C’est du nitrure de gallium et d’arsenic ; ça peut être du phosphure de gallium. Il y a encore 4 grandes technologies à base de gallium.
Ça se recycle facilement, tout ça.
Eh bien oui, justement, le problème c’est que c’est extrêmement compliqué à recycler. Pour les fluocompactes, j’ai lu une étude de 2012. J’ai du mal à trouver des publications scientifiques sur les ampoules. On est à plus de 20 métaux à l’intérieur.
Au niveau du recyclage, c’est assez compliqué, voire parfois on ne recycle pas du tout. On pile, et on stocke sous terre. Alors il y a eu des projets notamment de récupération de terres rares, qui avaient été portés dans la région de la Rochelle, par Solveg, qui ont été malheureusement abandonnés. Ce n’est pas un projet qui s’est poursuivi. Donc il y avaient quand même des initiatives, etc. Je n’arrive pas à avoir de statistiques : je n’arrive pas à vous donner de chiffres aujourd’hui, sur combien en quantité on recycle de fluocompactes et de LEDs. Par contre, ce que je peux vous dire, c’est que les auteurs de 2012 que j’ai consultés - ce sont des chercheurs qui ont fait des études sur fluocompactes et LEDs - me disent : la fluocompacte, on monte jusqu’à 26 fois plus d’impacts qu’une lampe à incandescence. Et on est entre 2 à 5 fois plus d’impacts en fonction de ce qu’on considère, sur une LED.
Donc résumons-nous. Pour pouvoir augmenter la durée d’éclairage, et la diminution énergétique, on a fait du dopage métallique. Ni plus, ni moins. Et on a créé des déchets ; intéressant : je sais pas si vous savez mais les ampoules à incandescence, on pouvait les mettre dans la poubelle. Avant on pouvait, parce que c’est du verre et du tungstène, et que ce n’est pas considéré comme un produit dangereux. Les nouvelles ampoules, le sont : elles sont considérées comme produits dangereux.
Autre ironie de l’histoire : combien de fois nous a-t-on rabâché les oreilles avec le thermomètre à mercure. Il faut faire très, très attention, et ne surtout, surtout pas le casser. Je connais plein de gens qui ont cassé des ampoules fluocompactes.
Ça fait plein de poussière blanche.
Ça fait plein de poussière blanche. Ça émet énormément de vapeurs de mercure. Si le sujet vous intéresse, je vous encourage vivement à lire a bibliographie canadienne des services de santé canadiens, qui alertent sur deux choses : la santé et la santé des habitants, suite à un bris de fluocompactes lié à des émissions de vapeur de mercure. Mais aussi la question de la santé des gens, qui sont dans les points de collecte, les centres de récupération et de recyclage, qui eux sont soumis. C’est-à-dire qu’on met en plus en danger les gens qui travaillent dans ces usines-là. En toute connaissance de cause, puisqu’on le sait. Alors on nous dit : « Oui mais ne vous inquiétez pas, on sait qu’on a des soucis avec les fluocompactes, mais de plus en plus, c’est la LED qui va prendre la suite ». Alors on rappelle : nitrure, arsenic, gallium. Alors je veux bien qu’on mette des LEDs. Je ne vous parle même pas qu’on ait une dispense énorme d’éclairage de partout pour éclairer ce dont on n’a pas besoin. Mais admettons - on va encore me dire… -, ce n’est pas grave. Mais indépendamment de cela, c’est pour vous donner un exemple pour vous dire : l’ampoule verte, écolo qu’on vous vend, la fluocompacte, en fait c’est une blague. Le véhicule électrique du véhicule thermique, c’est la fluocompacte de l’ampoule à incandescence.
Je me fais l’avocat du diable : ce n’est pas possible. On a quand même un gouvernement, un ministre de l’Écologie. Ils n’auraient jamais laissé faire ça. C’est forcément que c’est plus vert, et que ça consomme moins. Et ça sauve les bébés phoque sur la banquise !
(rires) Je comprends que vous avez un vrai souci avec les bébés phoque. Si vous voulez, on peut en parler spécifiquement, bien que je n’aie pas de compétences spécifiques sur les phoques. J’entends bien ce que vous dites, mais déjà quand l’interdiction fin 2012, début 2013, sur les lampes à incandescence, a été mise en vigueur par une directive européenne - je m’en souviens à peine, déjà -, eh bien je n’ai pas le souvenir d’une mobilisation massive, pour dire : peut-être qu’on peut garder tranquilles les ampoules classiques avec du verre, un filament de tungstène, et un peu d’aluminium, de chrome, de fer, un petit peu de manganèse au niveau du culot. Ça suffit bien, on le recycle, et ça marche très bien. Et on vous dit : « Oui, mais on fait une économie sur le temps ». Oui, mais les métaux ? Les gens ont une vision de l’économie d’énergie sur une vision extrêmement court termiste. Alors en général, c’est sur leur usage. C’est-à-dire, en fonction du nombre de km que je vais parcourir, ou en fonction du nombre de fois que je vais utiliser moi, l’ampoule par exemple. C’est extrêmement court termiste comme vision des choses. C’est-à-dire, si vous voulez comprendre l’impact écologique d’un dispositif, il faut tout prendre. Et ça, c’est quelque chose que je souhaite vraiment insister : à Systex, on est vraiment fâché que toutes les considérations de ce que c’est qu’un produit à impact environnemental, c’est basé sur les gaz à effet de serre. Vous êtes écologiquement responsable parce que vous n’émettez pas beaucoup de gaz à effet de serre, et vous êtes écologiquement responsable parce que vous en émettez beaucoup. Mais diable, il y a bien d’autres considérations à prendre en compte. La question du fait qu’on détruise des zones protégées, que l’on pollue massivement des cours d’eau et des nappes d’eau - qu’elles soient souterraines ou en surface -, qu’on stérilise des terres, qu’on stérilise des zones qui ne peuvent même plus être des zones agricoles. Ce sont des réalités qu’il faut prendre en compte. Et aujourd’hui, on ne le quantifie pas, ça. Ou on le quantifie extrêmement mal. Alors effectivement, on va me parler encore de l’équivalent antimoine. Je vous le dis : aujourd’hui, on le quantifie très mal. A l’échelle du site minier même, on n’y arrive pas. Quand aujourd’hui on demande aux gens sur quel site minier, est-ce que vous avez une idée de l’emprise en masse ou en surface de la contamination des eaux liées au site, les gens ils sont à plus ou moins un kilomètre.
On va aborder un autre sujet : est-ce que vous êtes intéressée par l’exploitation minière spatiale ? Le fait de mettre en orbite un astéroïde autour de la Terre, et de gentiment le découper en petits morceaux, pour faire l’exploitation minière spatiale. C’est bien ? C’est pas bien ? C’est pour nous donner de l’espoir ? Et ensuite, après l’exploitation minière spatiale, on passera sur la question de nos politiques, la réalité des politiques, le côté court termiste de nos politiques. Je vous laisse la parole sur l’espace.
On a suivi la question de l’espace, qui n’est même pas démarrée. Il y a simplement des projets qui sont en cours, mais il n’y a pas encore eu de vraie exploration, d’échantillonnages massifs sur des astéroïdes. Donc on est aux tout débuts. Vous vous souvenez de l’histoire que je vous racontais sur les éoliennes et les panneaux solaires, qui alimentent les sites miniers qui produisent des métaux ? L’aérospatiale, c’est très gourmand en métaux. Et pas qu’au niveau des dispositifs qui sont envoyés dans l’espace. Il y a aussi toutes les plateformes, de décollage, etc. Je ne suis pas ingénieur en aérospatiale, donc je m’arrêterai là pour ces considérations. Et c’est un sujet que j’ai envie d’approfondir : la consommation métallique du secteur de l’aérospatiale. Parce qu’il y en a d’autres qui passent souvent sous les radars : c’est l’aérospatiale, en termes de demande métallique, et le secteur de la Défense. Ces deux secteurs-là.
Vous savez ce qu’on dit sur les barils de pétrole : plus le temps avance, et plus il faut de barils de pétrole pour extraire un baril de pétrole. Du coup, sans vouloir faire un parallèle honteux, il y a quand même une forme de similarité, quand on dit : plus le temps avance, et plus on met de l’énergie pour aller chercher une quantité de métal. Je ne m’y connais pas en aérospatiale, donc je ne pourrai pas vous en dire plus. Mais en tous les cas, ce que je sais, c’est que c’est très consommateur en métaux. Et je me dis, ce qui serait quand même assez ironique, ce qu’on arrive à envoyer dans l’espace pour faire des tests, de l’exploration, de l’exploitation, plus de métal que ce qu’on récupère, sincèrement je trouverais ça assez drôle. Ca c’est pour la partie exploitation spatiale ; mais on peut aussi évoquer rapidement une autre frontière extractive, un peu du même genre. Vous voyez peut-être celle à laquelle je pense : les fonds marins.
Ah, les nodules polymétalliques. On ramasse des dents de requin.
(rires) Qui vous a dit qu’on ramassait des dents de requin ?
Les nodules métalliques, ce n’est pas des dents de requin.
C’est des concrétions. Je ne sais pas si c’est des dents de requin ; c’est des concrétions qui se sont formées dans des zones de fonds marins. Vous avez les nodules polymétalliques, vous avez les encroûtements cobaltiques ( ?), vous avez aussi les dépôts hydrothermaux au niveau de ce qu’on appelle les fumures noires
Là où il y a des écosystèmes qu’on ne connaît même pas.
Dans les trois cas, d’ailleurs. Pour moi, c’est assez symptomatique : ce que Sistext fait comme travail depuis des années, c’est de dire : il y a une activité minière qui est indispensable à bien des égards, qui a des impacts graves, qui n’arrive pas à maîtriser bon nombre de ses impacts. Et il va falloir agir et trouver le moyen à la fois de réduire la demande, mais aussi de réduire les impacts. Et en parallèle, vous avez donc un secteur qui est quand même connu au regard de toutes les statistiques majeures que je vous donne (c’est le premier en ci, premier en ça, etc.) : c’est quand même le mauvais élève. En plus de tout ça, on vous dit : on n’y arrive pas sur la Terre, c’est pas grave, on va en mer. Et puis pas n’importe où, hein.
Les écologistes, ils vont moins nous embêter. Mais il faut faire gaffe, parce qu’ils commencent à avoir le pied marin (Sea Sheperd).
Greenpeace a fait un travail d’exploration … ne vous inquiétez pas, ils sont là ! Mais en fait, comment est-ce que vous voulez accorder du crédit à quelqu’un qui me dit : je n’ai pas résolu mes problèmes sur Terre là où c’est assez simple. Et on va aller, pas n’importe où. Alors ok, les nodules métalliques ça commence à 800 m. mais on arrive à plusieurs milliers de mètres de profondeur, pour les autres. Ce qui est quand même assez hallucinant. Moi je ne connaissais pas du tout ce monde ; et à Sistext, on travaille avec de plus en plus dessus, on nous a demandé d’évaluer la question. On a lu, sans vous mentir, 200 ou 300 publications scientifiques sur ce sujet, pour essayer de comprendre quels étaient les techniques, les impacts ; qu’est-ce qu’il se passait. Mais on a dit : ce n’est pas possible, il n’y a pas 300 chercheurs ou plus, qui ont écrit des papiers, et personne ne les a écoutés. Vous avez des dizaines et des dizaines de chercheurs qui vous disent : mais c’est complètement aberrant. Ce sont des milieux qui sont complètement protégés. Protégés de la lumière, protégés du bruit. Ce sont des milieux où il fait noir ; il n’y a pas de lumière, il n’y a pas de bruit.
On dit : oui, mais ne vous inquiétez pas, on va y aller avec des oui move, de Operated Vehicule.
C’est comme des drones dans la piscine.
Oui, voilà. Et vous savez que du coup, tout le monde croit que c’est des robots dans la piscine. Et moi, je l’avoue, je croyais qu’ils étaient de petite taille. Mais c’est énorme. En fait, je ne savais pas du tout. J’en ai un peu honte. Quand j’ai commencé à me renseigner sur le sujet, je pensais que c’était un petit peu petit. Et en fait, du coup je me renseigne sur le projet Nautilus, qui est le projet le plus abouti au large de la Papouasie, Nouvelle Guinée, qui a été arrêté suite à un moratoire pris par le gouvernement. Et en fait, il y a deux appareils : un pour préparer la zone, et un pour réaliser l’extraction. Et l’un des deux appareils fait 205 T. On s’entend qu’un véhicule individuel moyen, c’est à peu près 2 T, voire 2,5 T. Je ne veux pas de problèmes avec les gens qui ont des véhicules plus gros, ça ne me regarde pas ; je dis juste la moyenne. Du coup, c’est 10 fois plus gros. 200 T, c’est les ordres de grandeur que je connais, c’est les gros tombereaux qui montent jusqu’à 450 T. Des tombereaux de 200 T, c’est déjà énorme.
Le tombereau, c’est une espèce de grosse benne.
Oui, un camion avec une toute petite entrée, une très grosse benne. Et de très, très grosses roues, qui font jusqu’à 4 m de haut.
Eh bien, j’ai étudié la mine de Cresson : c’est une mine d’or, il y a des véhicules comme ça. C’est des 200 T, 450 T charge pleine. Bon, vous vous dites : 200 T, c’est gros. Et les gens vous disent - excusez-moi, je suis encore obligée de rire ; j’ai vraiment du mal par ce que j’en ai lu des dizaines et des dizaines d’explications scientifiques. C’est vrai que c’est risible. Vous avez lu autant de publications, et il y a des gens qui vous disent - : il n’y a vraiment aucun problème avec l’exploration des fonds marins.
Et vous dites : non mais eh, est-ce qu’on peut prendre du recul ? Se dire qu’on va faire descendre 200 T de métal. Allez, même si je me mets uniquement à une hauteur de profondeur des nodules polymétalliques : 1500 m de profondeur. Déjà, j’aimerais bien savoir quelle est la grue qui va aller chercher les 200 T à 1500 m de profondeur quand on aura fini d’exploiter. Mais admettons.
Et ensuite, vous avez 200 T dans un environnement qui ne connaît aucune perturbation, aucun panache, aucune lumière. Prétendre qu’il n’y aura pas de problème, c’est d’une malhonnêteté, compte tenu…
Mais il n’y a pas de problème, si on ne les voit pas.
Alors, on ne les verra pas. Et c’est intéressant justement, que vous en parliez, parce que souvent effectivement, on considère la faune nautique de façon très isolée.
Ils ne sont pas beaux, ces petits animaux ! Ce n’est pas grave !
Si, justement ! Vous avez tort de dire ça. Je ne connaissais rien à la faune nautique, mais c’est un monde merveilleux. En plus, souvent ils sont luminescents. Je refuse que vous disiez que ces animaux sont moches. Et justement, c’est intéressant, parce que typiquement, ce qu’on a lu parce que j’ai pris contact avec des personnes qui étaient spécialisées sur ces questions, c’est que ces compartiments basaux - on est en dessous de la zone pellagique, dans laquelle il y a souvent plutôt les poissons qui eux, ne sont pas au fond…
Jusqu’à 400 m
Ah bien non ; si votre fond de l’eau est …
Alors qu’est-ce qu’on appelle pellagique ?
La zone pellagique, c’est la colonne d’eau qui surplombe la zone d’un type. C’est au-dessus de la zone d’un type. La faune d’un type en général, on considère que c’est celle qui ne se déplace pas : celle qui va rester au fond. Et après, vous avez la faune pellagique qui est la faune de la colonne d’eau. Et puis après, ça dépend de votre plateau continental, de vos profondeurs, etc.
Mais en fait, cette faune-là, elle communique, contrairement à ce qu’on peut croire. Il y a aussi la génération de ce qu’on appelle ; euh attendez, c’est l’équivalent de la photosynthèse, mais au fond des mers - le terme m’échappe -. C’est l’équivalent de production primaire végétale, à des zones très profondes.
Avec du soufre.
Oui, voilà, de mémoire. Vous avez des mécanismes qui sont extrêmement présents, et qui ne concernent pas uniquement que le fond marin. Et d’autant que s’agissant des fonds marins, y compris des fonds marins extrêmement profonds, on dispose déjà d’un retour d’expérience qui n’est pas complètement équivalent mais qui est comparable dans le domaine minier : c’est les déversements de résidus miniers. Actuellement, on procède dans plusieurs sites dans le monde, en particulier en Norvège, à du déversement de résidus miniers dans les masses d’eau : en cours d’eau, en fjord, ou dans les milieux marins. Et de plus en plus, on se dirige vers ce qu’on appelle le deep sea disposal. Cette fois, ce n’est plus le deep sea mining : on va entreposer les déchets miniers à des profondeurs élevées. Ca peut même aller au-delà des 1000 m, si vous avez la topographie marine qui vous le permet.
Oui mais on va me dire : mais là, on dépose des résidus miniers, et on ne fait pas une zone d’exploitation dans le sens qu’on ne remanie pas un sol. Certes, j’entends, je comprends bien le principe ; mais dans les faits, globalement, les sédiments c’est les mêmes. La toxicité des métaux et des métalloïdes qui sont constitutifs de ces matériaux, c’est les mêmes. Les profondeurs, c’est les mêmes. Alors ce sont tous ces phénomènes-là qui ont déjà été… alors bien sûr, ce n’est qu’un équivalent, mais c’est important d’avoir en tête ce parallèle. Sans pour autant faire un systématisme : on entend que ce ne sont pas les mêmes façons de « traiter » les fonds marins. En tous les cas, dans les deux cas, ce que je peux vous dire, c’est qu’on les maltraite, les fonds marins. Déposer des résidus miniers en fonds marins, c’est catastrophique. Exploiter des fonds marins, c’est catastrophique.
Alors une fois dit ça, surtout que quand on regarde la composition des métaux, et que finalement on se rend compte que dans les nodules polymétalliques, il y a ni plus ni moins que les mêmes métaux, ceux dont on parle tout le temps - cuivre, plomb, zinc, manganèse, cobalt, etc…
Dans les meilleures concentrations ; vous ne vous rendez pas compte…
Oui, mais dans les meilleures concentrations : si, je me rends bien compte qu’il y a de forts taux de concentration. Mais dans le monde minier, il n’y a pas que la concentration : il y a la concentration, et puis il y a la quantité. Et puis ensuite, la capacité que vous, vous avez à récupérer ça. Aujourd’hui, sur des panaches de sédiments que l’on peut voir ; encore une fois, je me base sur le retour d’expérience : comme le deep sea mining n’existe pas, je me base sur un retour d’expérience plutôt lié au dépôt de déchets miniers en mer. Quand vous avez au niveau des conduites d’amenée des déchets miniers - ce qui correspond bon an mal an, à ce qu’on va remonter, dans l’autre cas -, des fuites qui peuvent se produire - ça arrive assez souvent, au niveau des conduites d’amenée. On a par exemple des fuites de déchets miniers qui vont aller sur des profondeurs, on va dire autour de 200-300 m - , ce n’est pas complètement incohérent, avec les hypothèses qu’on a, une exploitation de nodules polymétalliques, 1000 m de profondeur, on a une fuite à 300 m, ça paraît cohérent. On pourrait avoir ce cas là -. Quand vous voyez les dégâts majeurs que ça occasionne, d’abord sur la faune, et ensuite sur les gens. Quand on a le malheur de se trouver dans des zones qui sont soit habitées - alors on va me dire : ah, ne vous inquiétez pas, la dorsale, il n’y a personne -. Oui : soit habitées, soit utilisées. Vous n’êtes pas seul à utiliser ces eaux : il y a aussi les pêcheurs. Il y a d’abord la nature, et ensuite les pêcheurs. Quand vous voyez les impacts en comparaison avec ce qu’on fait en termes de dépôt de résidus miniers en fonds marins, quand vous lisez toute cette bibliographie, que vous prenez le temps de regarder, personne ne peut considérer qu’il y a un bienfondé quelconque à vouloir envisager une exploration et une exploitation des fonds marins. Personne. Il faut prendre le temps, il faut étudier, il faut écouter les gens. Mais il y a beaucoup plus de gens qui sont défavorables, que favorables.
Dans ces cas-là, il faudrait peut-être s’interroger sur les raisons pour lesquelles tout le monde est d’accord sur ces sujets-là. C’est une catastrophe environnementale qui est prévisible. Et quoi qu’en disent - et je suis très consciente des discours récents qui ont été faits, notamment dans le cadre du plan de relance 2030, dans lequel il a été fait mention du fait qu’on souhaitait relancer l’exploration minière, mais qu’il ne s’agissait pas d’exploration pour l’exploitation minière, mais bien d’exploration pour mieux comprendre la faune et la flore de ces milieux-là. Et qu’en plus, ça nous apporterait un certain nombre d’informations scientifiques, etc. Et pour en avoir aussi parlé avec chercheurs, qui sont plutôt spécialisés dans ces écosystèmes-là, la raison pour laquelle on connaît mal ces milieux, c’est parce que c’est difficile de faire de la recherche dans ces fonds marins. Pour des raisons financières, mais aussi pour des raisons de : vous allez observer quelque chose. Je vous donne cet exemple, que tout le monde peut comprendre : comment observer un animal, alors que vous ne pouvez pas, ou très peu, faiblement l’éclairer ? Parce qu’il n’a pas du tout l’habitude de la lumière. Comment vous faites venir des engins avec du bruit, alors qu’il n’a pas du tout l’habitude du bruit ? Donc il y a aussi une difficulté dans l’exploration des fonds marins, et notamment de la faune, parce que ce sont des habitats qui sont extrêmement épargnés, et qui sont difficiles à étudier, si on veut les étudier tout en les protégeant.
J’ai ce souvenir incroyable au niveau de la zone de Clipperton [Est-Pacifique]1. Et quand j’ai lu ça, j’ai dit : mais ce n’est pas possible que ça existe. Au niveau de la dorsale de Clipperton, il y a des petites machines qui ont des phares, et qui surveillent la zone de dorsale. Et des chercheurs en 2015 ont démontré que la simple observation - vous observez une dorsale, donc il faut éclairer, vous n’allez rien voir sinon. Pour prendre des photos, il faut éclairer - ; le simple fait qu’on mette de la lumière, juste pour surveiller, ça a créé des lésions rétiniennes pour les crevettes qui habitaient dans la zone. Rien que ça. Je n’ai pas ramené un tombereau déguisé de 200 T au fond, hein.
Donc il y a aussi une difficulté dans l’exploration de ces écosystèmes.
Mais c’est des crevettes !
Vous avez le droit de dénigrer les fonds marins, c’est votre problème, ce n’est pas mon cas !
Je me fais l’avocat du diable : qu’est-ce qu’on en a à foutre, des crevettes ? Aveugles, borgnes ; bon ben voilà !
Ben parce que les fonds marins, comme je vous disais, c’est en lien avec les autres compartiments marins. Parce qu’on n’a déjà pas l’impression… C’est assez drôle, qu’on s’insurge, qu’avec autant de surprises sur le continent de plastique, et que ça ne nous pose aucun problème d’aller quelques km en dessous, pour aller bousiller les fonds marins. Parce que excusez-moi de l’expression, mais en l’occurrence quand vous mettez un 200 T sur une zone hydrothermale pour pouvoir exploiter…
Qui vous dit que je vais n’en mettre qu’un seul ?!
En plus ! J’ai des sérieux doutes. Et donc il y a aussi cet enjeu-là. Et donc, vous vouliez après, parler de politique.
Bon, les politiques, ils sont conscients, pas conscients ? Il faut les envoyer dans l’espace ?
Pourquoi voulez-vous que je gaspille du métal pour faire ça ?!
Vous avez des contacts avec eux ?
Très peu.
Le Ministère de l’écologie ?
Très, très peu.
Peut-être qu’ils ne savent pas que vous existez ?
Si, si. Ils savent qu’on existe.
Ils ne veulent pas vous rencontrer, en fait !
Non, non, je ne pense pas. Il y a aussi le fait que Systext est beaucoup plus dans un travail de l’expertise et de l’évaluation, et que c’est vrai qu’on est beaucoup moins dans les centres d’expertise, et de questions juridiques. Donc c’est peut-être aussi ce qui nous éloigne…
Ça ne vous arrive jamais de leur remettre des rapports ?
Alors, en mains propres, non. Par contre, quand on les publie…
Il faut leur mettre des coloriages ! Ils comprennent mieux avec des coloriages.
Question internet : quel métal pour remplacer le cuivre dans le conducteur électrique ?
Ça va être très compliqué. Ça va être très, très compliqué. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle beaucoup de gens s’inquiètent aujourd’hui plus pour le cuivre par exemple, que pour le cobalt. Parce que le cuivre, en termes de substitution, ça va être compliqué. Et aussi parce que vous avez beaucoup d’usages concurrents.
Ah, ça c’est important : les usages concurrents. Ça veut dire quoi ?
Ça veut dire que vous avez des filières qui sont exclusivement dédiées à certains usages. On va prendre par exemple l’antimoine : 80% de l’antimoine, c’est les retardateurs de flammes. C’est ce qu’on met pour éviter que l’électromagnétique, quand ça surchauffe, ça explose, ou qu’il y ait des problèmes avec les incendies, etc.
Par exemple, 70 ou 80% de l’indium, en l’occurrence, c‘est les écrans à oxyde d’étain indium. C’est les écrans tactiles, qui du coup vous permettent de créer des impulsions électriques avec le déplacement du doigt.
Par exemple, 80% du gallium, c’est de l’arséniure de gallium, qui est utilisé dans les circuits intégrés, et qui a certains avantages par rapport au silicium, etc.
Ces secteurs-là, ce sont des secteurs qui sont très polarisés. Et je vous dirais qu’en général, ce sont des filières qui concernent ce qu’on appelle les métaux de spécialité. C’est-à-dire, pas les métaux de base ou les métaux précieux qu’on connaît assez bien. Mais des métaux de spécialité : l’arsenic, l’antimoine, le germanium, le gallium, le tungstène, le tantale. Quand vous avez des filières comme le cuivre, avec beaucoup de concurrence, ça change la donne. Je vais vous donner un exemple ; on parlait du cuivre. Ca va marcher avec le véhicule électrique, surtout si on fait de l’électrique avec 80 kg à chaque fois. Ca va être compliqué. Sans compter les fameuses bornes de recharge à 100 kg, et tout le reste.
Mais je vais vous donner un exemple, le nickel. Parce qu’on en parle beaucoup. On dit : voilà, une batterie au nickel manganèse cobalt, le premier terme c’est nickel, je le disais tout à l’heure, sur une batterie de Zoé on est à 34 kg de nickel. 11 kg de cobalt, 11 kg de manganèse. Très bien. Et on dit : il y a énormément besoin de nickel, vous vous rendez compte, pour les véhicules électriques, pour l’électrification des véhicules ; et ça va être un énorme poste. En 2020, 70% du nickel, c’est les aciers inoxydables. Et ça a toujours été le nickel, les aciers inoxydables ; c’est connu pour ça. Vous savez, l’expression « nickel chrome », eh bien c’est des aciers ferro-nickel, ou ferro-nickel-chrome. Les batteries, c’est 8%. Si on envisage des parcs véhicules électriques tel que c’est aujourd’hui annoncé, avec du 100% électrique, où il faut que tous les quatre matins on balance 34 kg de nickel, rien que dans la batterie - parce que, attendez, il n’y en a pas que dans la batterie ! Mais en l’occurrence, le gros poste effectivement, c’est le poste des batteries -, eh bien ça va être compliqué, on ne va pas pouvoir satisfaire tout le monde.
On ne satisfera que les riches.
A savoir, comment ça va se passer.
Avec … les prix.
Alors, quelles vont être les dynamiques ? Moi je ne suis pas Nostradamus, je vous avouerais. Mais il va y avoir forcément des phénomènes concurrentiels que vous évoquiez tout à l’heure, de tensions d’approvisionnement ou de tensions politiques, voire géopolitiques, qui vont nécessairement intervenir. Qui est le plus fort, entre le lobby des véhicules électriques et le lobby des aciers inoxydables ? Je ne saurais pas répondre à cette question, donc je ne vais pas m’y lancer. Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, il va y avoir des arbitrages à faire entre certains usages, parce qu’on polarise notre attention sur certains gestes.
Je me permets de revenir à ce titre-là sur le véhicule électrique. Parce que, quand on disait : non seulement c’est beaucoup plus émetteur, on ne quantifie pas un certain nombre de choses. Mais il faut s’imaginer des ordres de grandeur en cause. Je prends un autre métal : quand ce n’est pas le nickel, c’est le cobalt. On prend le cobalt. D’après une publication d’un géologue de mars 2020 sur le véhicule électrique, le simple fait de passer au tout électrique ; si vous voulez, le surplus qui est nécessaire en cobalt, pour répondre à une transformation du parc automobile en 100% électrique, rien que ce surplus là - indépendamment d’une éventuelle croissance sur les autres secteurs qui ont besoin de cobalt, on s’entend. Juste pour le parc 100% électrique. -, c’était une fin du cobalt disponible en 2050.
Ça tombe bien ; en 2050 on sera tous morts avec le réchauffement climatique !
Question internet : est-il possible d’extraire durablement (sur plusieurs siècles) tous les métaux nécessaires à la population humaine actuelle ?
(rires) Humaine actuelle ? Déjà, c’est extrêmement compliqué. Et alors, humaine actuelle avec ces pronostics à venir : non. C’est non.
Quelle perspectives pour le lithium en France ? On en parle de plus en plus. Une exploitation durable est-elle envisageable ?
Je ne suis pas une experte du lithium, je préfère le dire dès le départ. Là, je ne parle pas au nom de Systext, mais au nom de moi, d’Aurore Stéphant. J’ai vu un certain nombre de projets, notamment en termes de géothermie : de valorisation d’eau géothermique, dont on pouvait extraire un certain pourcentage, certes faible mais in fine intéressant en termes de lithium. Je pense que ça peut être intéressant. Malheureusement, je n’ai pas pu développer les enjeux techniques qui sont associés. Donc je ne me rends pas compte de ce que ça représente. Mais c’est ce genre de méthode que je trouve assez intéressant. Sous réserve qu’il y ait déjà un usage de ces eaux géothermales, autant en profiter pour récupérer des choses. Maximiser autant que possible bien naturellement le recyclage. D’autant que aujourd’hui - ce n’était pas vrai il y a quelques années -, le marché du lithium se polarise sur le milieu de la batterie. Il y a quelques années, quand je donnais des formations, je disais : aujourd’hui, le plus gros du lithium, c’est la vitrocéramique ; c’est 35% des usages mondiaux. C’était il y a quelques années ; et puis aujourd’hui vous voyez où on en est. Les rapports sont inversés, les batteries viennent de devenir majoritaires en termes de demande de lithium.
Donc il y a ces enjeux intéressants. La question du lithium que vous posez : est-ce qu’on peut faire une mine durable ; je pense que, ce que j’expliquais en introduction, il faut vraiment l’avoir en tête pour se rendre compte de certaines limites intrinsèques dans la façon dont on peut exploiter une mine. A partir du moment où vous travaillez avec des quantités importantes - on parle de millions de tonnes - de matériaux en souterrain, alors qu’il y a de l’eau, qu’il faut pomper, qu’il y a plein de métaux, des métalloïdes, la plupart sont toxiques - c’est ça la mine -, ça ne va pas bien se passer.
Ce qu’on peut faire, c’est minimiser au maximum. Le problème c’est que pour minimiser, encore faut-il avoir les technologies qui permettent de minimiser. Et force est de constater que dans ce domaine, n’en déplaise à beaucoup qui prétendent qu’il y a énormément d’alternatives et de meilleures pratiques, on n’est pas du tout au même niveau que d’autres secteurs industriels.
La question du lithium, c’est notamment les projets géothermiques que j’aurais trouvés intéressants, mais je n’ai pas pu les approfondir.
Comment proposez-vous de réintégrer le prix des externalités dans les prix ?
C’est une super question, merci beaucoup de me l’avoir posée ! Comment pourrait-on commencer ? Déjà, essayer de regarder en moyenne , de quantifier ou de modéliser, des impacts moyens, compte tenu des teneurs en éléments métalliques qu’on s’attend ou qu’on pense avoir, et des tonnages. Typiquement, on peut se dire : globalement, sur une mine de tant de millions de tonnes, je m’attends à avoir tant de millions de tonnes de déchets, en fonction des teneurs moyennes, etc. Et comment on pourrait réintégrer des externalités ? Il y aurait déjà une première façon de faire. C’est : en dessous d’une certaine teneur, on n’exploite pas. Parce que cette teneur-là, elle n’a plus de sens.
Mais on va aller vers la pénurie plus rapidement ?
Ah, mais il n’est pas dit qu’il ne fallait pas en parallèle diminuer les quantités de métaux que nous allions consommer. Tout à fait, vous avez raison de le préciser. Moi ce que je dis déjà, c’est : s’agissant de l’intégration des externalités, le premier levier, c’est déjà de dire, il y a une certaine teneur en dessous de laquelle on ne peut plus aller. Alors dans les faits, il y a une teneur en dessous de laquelle on ne peut plus aller. Je me permets juste cette parenthèse. En fait, le métal, comme on l’a dit tout à l’heure, plus le temps avance, plus les teneurs diminuent. C’est un sujet qui fait consensus chez tout le monde. Donc j’ai envie d’en parler, c’est un sujet qui fait consensus : la diminution progressive des teneurs des gisements mondiaux, et la raréfaction des gisements exploitables. Un sujet qui fait consensus, ça fait du bien. Moi j’en parle avec enthousiasme. Et donc du coup, il y a des gens, extrêmement connus, comme Mugh, comme .., comme Norsey, qui depuis 15 ans, montrent que plus les teneurs diminuent, plus la quantité d’énergie augmente plus la quantité d’eau augmente ; et de façon exponentielle.
C’est comme la production monétaire, c’est ça ?
Si vous voulez ! C’est vraiment exponentiel. L’une des façons justement de prévoir ça, c’est de se dire : on sait déjà - alors bien sûr qu’on n’a pas un chiffrage précis -, mais on peut déjà commencer à modéliser des prédictions en termes de quantités d’eau supplémentaires, ou en quantités d’impacts supplémentaires, ou en termes de etc. Et ça déjà, on pourrait déjà l’imputer. En disant : compte tenu des pronostics que l’on peut faire : avec des courbes de tendance. Et à un moment, on définit un point au-delà duquel on ne va pas.
Je vous arrête, et je vous dis : la science et la technologie, va nous sauver. On va moins consommer d’eau, on va avoir plus de rendement, parce que cette technologie, on va la trouver. Il faut nous laisser faire des trous, parce que sinon on ne va pas la trouver. Et ça va être de votre faute ; vous ne vous rendez pas compte.
Ça va être de ma faute. Ca fait beaucoup de choses sur mes épaules, j’en suis consciente ! Donc je finis, et je vous réponds sur les techniques, promis.
Donc un premier moyen de quantifier, c’est de dire que déjà il y a des externalités qu’on n’assume pas. Notamment, pour ceux que ça intéresse, il y a un chercheur qui s’appelle Budlang, qui a fait un très bon travail là-dessus, qui travaille le responsible mining et autres. Ce sont des travaux de 2012, qui expliquent qu’il y a des frontières et des limites qu’on devrait imposer, notamment dans les zones de bassins versants. On ne va pas dans les zones qui sont naturelles protégées, etc. Il faut déjà se mettre des limites. Pour moi le premier niveau de la prise en compte des externalités, c’est de définir ce qu’on accepte et ce qu’on n’accepte pas. Et tout ce qu’on n’accepte pas, on n’y va pas. Et ça va effectivement influer sur les teneurs et sur les zones non exploitées.
Autre façon d’aborder les externalités : eh bien, le prix. Tout est une question de prix ! Quand vous regardez par exemple, on va prendre cet exemple-là que je trouve, qu’il est chouette. L’or. Il y a énormément de mines d’or dans le monde. Même s’il n’y a que très peu de production au final : ce n’est que 3000 à 4000 T d’or par an. Il y a beaucoup d’or. Donc on cyanure l’or, et on a des problèmes dans les bassins, notamment des problèmes de fuites d’effluents dans de grands bassins, de grands parcs à résidus, qui contiennent des eaux cyanurées.
Tout de suite : des fuites. Ce n’est pas des fuites.
Ah non, non : c’est des fuites. Non, il y a des fuites, il n’y a pas d’autres mots. J’en ai vu plein, des fuites. J’en ai vu plein, plein, plein. Il y en a plein partout autour des digues, et c’est des fuites. Si vous voulez, je peux faire très attention à ce que je dis ; mais quand il y a des fuites, il y a des fuites !
Tout ça pour dire qu’on a dit : il y a un problème, parce qu’on ne peut pas se permettre - on a eu pas mal d’accidents - de rejeter dans des eaux qui sont à la surface, des eaux cyanurées. Donc on a dit : on va faire ce qu’on appelle de la destruction de cyanure. Tout le monde a applaudi à deux mains en disant : ça c’est super. Il y a des tas de gens qui disent qu’ils font de la destruction de cyanure. Moi je me suis intéressée aux industries minières, et aux technologies de destruction de cyanure. Je suis extrêmement déçue ! Et en plus, j’ai un peu honte de le dire, parce que je crois que je l’avais entendu dans mes cours à l’époque, et j’aurais dû m’en souvenir ! En fait la destruction de cyanure, ce n’est pas de la destruction du tout, c’est une dégradation du cyanure, ou de la forme libre du cyanure, en cyanate et en antioxanate ( ?). C’est-à-dire qu’on met de l’oxygène ; ça fait des produits de dégradation, ça fait des cyanates et des antioxanates. Peu importe. Sauf que ceux-ci continuent de poser sévèrement problème à l’environnement.
Mais c’est plus du cyanure.
Mais c’est plus du cyanure. Donc on peut parler de destruction du cyanure.
Vous comprenez, les gens ils savent que le cyanure ce n’est pas très bien. Mais si vous leur parlez de cyanates…
Alors, c’est vrai que la toxicité est moindre. Entre un cyanate et un cyanure libre, la différence est claire. Mais pas contre, le problème c’est qu’on les rejette dans l’environnement. Et qu’il ne faudrait absolument pas le faire. Ce qu’on dit, c’est juste que c’est moins toxique. Mais ça ne veut pas dire que lâcher de grandes quantités, ne va poser aucun problème environnemental. Ce n’est pas parce que c’est moins toxique que ce n’est pas toxique : c’est juste moins toxique.
Donc ça, c’est un premier enjeu. Et du coup, je me suis dit : je vais m’intéresser à une technique qui est prometteuse, qui est la question du recyclage. Alors recyclage du cyanure, on change un peu de spéc par rapport au recyclage métallique. On va récupérer le cyanure, pour en fait éviter qu’il n’y en ait trop qui parte ; et effectivement quand ça s’oxyde, de générer trop de cyanates et de bioxanates ( ?). Le nombre de sites miniers qui procèdent à cette technique, qui est pourtant intéressante, ça tient sur les doigts de une à deux mains. Et il y a bien plus de une à deux mains de sites d’or dans le monde !
Ce que je veux vous dire, c’est que la raison aujourd’hui, pour en avoir parlé en plus avec des amis à moi qui travaillent dans l’industrie minérale, des représentants de l’industrie minérale ; j’entends tout à fait les enjeux économiques qui sont associés à une telle usine de traitement. J’entends tout à fait les difficultés aujourd’hui qu’on a, économiquement parlant, à ne pas gérer les déchets autrement que sous forme de boues déposées derrière des barrages dans des digues qui se trouvent dans un montagne. Je comprends ces difficultés économiques là, je peux les comprendre théoriquement. Là où je ne les comprends pas pratiquement, c’est que je sais, que parmi tous les consommateurs, eh bien il y en aurait certainement qui seraient prêts à payer à un prix juste, comme ils l’ont fait dans d’autres secteurs industriels et dans d’autres secteurs de production ; ils sont déjà prêts à payer un prix plus juste. Parce que aujourd’hui, il n’est pas normal qu’un téléphone coûte 100 ou 200 € ; même 1000 €. C’est rien pour un téléphone, ce n’est absolument rien, compte tenu des externalités que la mine fait peser du point de vue humain, du point de vue social, du point de vue environnemental.
Ce qui est important pour moi, c’est de dire : il faut reconstruire un modèle où on ne fait pas l’apologie d’un modèle, où on est toujours à rapiécer les bouts de ficelle pour pouvoir avoir une mine la moins cher possible. L’apologie du coût de production le plus faible possible, dans une industrie qui est intrinsèquement aussi problématique, et dangereuse.
Mais moi j’ai des rendements à fournir à mes actionnaires !
Ah oui ! D’ailleurs, le secteur minier est l’un des seuls secteurs primaires auquel on applique des taux de rendement aussi élevés que ceux du tertiaire. Montagne d’or, ils étaient à 18% de retour sur investissement. Ce n’est pas raisonnable !
C’est magnifique ! Vous ne vous rendez pas compte !
Je suis désolée, c’est une industrie … d’être en désaccord, apparemment simplement apparent avec vous ! Je suis désolée d’être en désaccord, mais moi je ne peux pas humainement concevoir qu’on soir prêt pour des raisons économiques à faire des choix aussi désastreux. Souvent j’en parle avec des gens, en disant : mais vous ne vous rendez pas compte des impacts. J’en parle avec des personnes qui ne sont pas du tout du secteur, et je leur parle des problèmes environnementaux. Et puis ils me disent : oui mais bon, Aurore, on connaît le sujet, on sait que c’est grave, mais bon…
Mais en fait, il faut vraiment avoir en tête que les impacts sont extrêmement différents et bien plus graves. Quand je vous parle de pollution, je vous parle de kilomètres carrés !Le paradoxe qu’il y a dedans, c’est de dire que cette industrie elle va nécessairement poser problème, de par la nature que j’ai décrite précédemment. Donc le seul moyen de s’en tirer à bon coût, pas trop mal, c’est de minimiser au maximum les impacts. Pour ce faire, pour minimiser au maximum les impacts, on dispose aujourd’hui de technologies qui sont extrêmement coûteuses. J’ai discuté il n’y a pas si longtemps sur le cyanure, parce qu’on a fait une étude détaillée sur la question de la cyanuration, cette année avec Systext. Je discutais avec deux experts canadiens du cyanure, qui me disaient : « Mais Aurore, qu’est-ce que tu as dans la tête ? La raison pour laquelle on utilise le cyanure, c’est qu’aujourd’hui on a un prix à la tonne hyper avantageux. On l’a à 4 $ à la tonne. Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse de mieux avec un tuyau sulfate, aujourd’hui à 25 $ la tonne. Arrête de te prendre la tête ; c’est bon, passe à autre chose ».
Du coup, déjà il faut augmenter - ça va coûter cher -, mais il va falloir changer des techniques, faire changer des façons de faire, changer des habitudes. Et en particulier sur un des points noirs de l’industrie, qui est la gestion des déchets miniers, qu’ils soient à l’étape d’exploitation ou à l’étape des déchets. Il faut déjà commencer par ça : gérer les effluents, gérer les déchets. On met beaucoup d’argent dedans. Quel que soit le prix, il faut mettre le prix là-dedans. Si en corollaire de cela, on a un coût de production qui augmente, eh bien charge à eux de s’arranger pour vendre leur production à des prix plus attractifs. Ce n’est plus mon problème, à un moment donné. Et si on arrive à expliquer aux gens qu’on n’a pas aujourd’hui à accepter un certain nombre de dégâts majeurs, que ce soient les déversements volontaires, que ce soient les techniques extrêmement invasives ou autres - il y en a tellement à raconter sur les techniques invasives, qu’il faudrait interdire -, il faut absolument que nous on soit en capacité de dire : il y a un certain nombre de techniques qui doivent absolument être bannies, et il y a des techniques qui doivent être mises en œuvre. Ça va coûter de l’argent, il faut le faire. Et en parallèle, il faut informer les gens pour que les gens disent, de la même façon que dans d’autres secteurs d’activité : je suis prêt à faire d’autres choix, parce que ça répond à mes besoins, ça répond à mon éthique ; je ferai pareil avec la mine et les métaux.
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