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Aurore Stéphant - Ruée minière au XXIè siècle : jusqu’où les limites seront-elles repoussées ?




Voici la retranscription, écrite par notre ami Bertrand Frey, de la conférence à USI (Unexpected Sources of Inspiration) 2022 de Aurore Stephant, ingénieure géologue minier, spécialisée dans les risques environnementaux et sanitaires des filières minérales (une version téléchargeable est disponible en fin de cette page, voici le lien pour voir la vidéo).

Le monde fait face à une demande croissante en ressources minérales dans tous les secteurs, en particulier ceux de la construction, du transport, de la défense, de l’approvisionnement en énergie ou encore des technologies de l’information et de la communication. Si la mine a servi toutes les révolutions industrielles, il est désormais attendu qu’elle soit plus que jamais sollicitée pour l’avènement de la Révolution 4.0, celle de la « dématérialisation », des énergies « propres » et des technologies « vertes ». Jusqu’où toutes ces limites seront-elles repoussées pour répondre à une consommation de métaux démesurée ?

La conférence USI (Unexpected Sources of Inspiration) découvre et rend accessible les spécialistes de renommée internationale en sciences, en technologie, et en philosophie pour contribuer au progrès des organisations. USI accompagne les entreprises du CAC 40 et SBF 120 à faire face aux enjeux de transformations stratégiques, technologiques et de management dans un monde en constante évolution. C’est également un espace d’inspiration, de rencontres et d’échanges avec un line-up inédit en Europe.

Conférence de Aurore Stephant, ingénieure géologue minier

Mardi 28 juin 2022 - Palais Brogniart, Paris

Aujourd’hui, on va s’intéresser à une limite, et à des limites, qui ne sont que peu évoquées lorsque l’on parle de technologies, en particulier des technologies du numérique. Et en l’occurrence aujourd’hui, on va s’intéresser aux questions métalliques. Minérales et métalliques, surtout métalliques. Et je me suis donné un sujet assez ambitieux pour aujourd’hui, à savoir, Ruée minière au XXIè siècle : jusqu’où les limites seront-elles repoussées ?
Pourquoi j’ai parlé de ruées minières au 21e siècle ? Parce que beaucoup d’entre nous - de moins en moins ! - ont des images d’Épinal en tête, sur ce qu’est l’activité minière. Et dans le débat public actuellement, on draine un certain nombre d’images, selon lesquelles il existerait une mine moderne, une mine du 21e siècle, une mine du futur. Donc mon objectif, c’est de vous montrer les réalités de la mine d’aujourd’hui - pas celle d’hier -, et également de vous montrer les limites qu’on est en train de franchir, que ce soit dans l’infiniment petit, ou que ce soit dans l’infiniment grand.

Cette présentation s’orientera autour de trois grands axes :

1) Réalités des filières minérales
Les filières minérales, c’est un immense domaine. Des dizaines de substances, des dizaines de milliers de produits, des dizaines de milliers de sites miniers. Ça va être très compliqué de traiter tout ça en 40’. Par contre, ce que je peux faire, c’est vous donner des grands ordres de grandeur pour que vous sachiez ce qu’il faut retenir de ces réalités minières.

2) Ensuite, de vous parler d’un sujet très important, qui va vous expliquer les limites de l’infiniment grand. Justement aujourd’hui, jusqu’où on est capables d’aller. Qui sont le lien entre matières premières minérales et modèle de développement. Et de mettre en exergue les dérives qui sont déjà actuellement en cours, et qui sont prévues pour les années à venir

3) Ensuite, je conclurai sur des perspectives, des leviers d’action, que individuellement ou collectivement je pense, on est tout à fait en mesure de mettre en place.

Réalités des filières minérales : industrie prédatrice et dangereuse

Première image d’Épinal, le métal ne se trouve pas sous forme pure dans les gisements. En fait, le métal que vous recherchez, qui vous intéresse, en l’occurrence, il est associé à d’autres éléments. Notamment l’oxygène, le soufre, le carbone. Ça va faire des minéraux. Vous avez ici deux images de minéral.

En haut, vous avez des grains verts, oranges, etc. En fait, chacun de ces éléments est un minéral, qui contient un métal plus par exemple de l’oxygène, ou un métal plus du soufre. Et comme vous le constaterez, ce minerai, c’est une imbrication de minéraux. Donc sur l’image du haut, vous avez un minerai de tungstène. La question que vous allez me poser : où se trouve le tungstène ? En l’occurrence, vous trouvez sur la photo du bas, un minéral - un grain - qui ressemble à du sable qui est clair. Ça, c’est un tungstate de calcium. Donc il va déjà falloir aller chercher ces grains-là. Et c’est à partir de là qu’on va récupérer le tungstène.

En dessous, vous avez un autre minerai, toujours dans une mine aux États-Unis. Cette fois-ci, c’est un minerai de platine et de platinoïde. Et là encore, vous pourriez me demander où se trouvent le platine et le platinoïde ? Et en fait, dans cet amas de minéraux, il y a certains minéraux qui contiennent à l’intérieur de leur réseau cristallin - donc vraiment au plus profond de leur structure - le platine et le palladium.
Ça, c’est le minerai qu’on exploite pour toutes les substances métalliques, exception faite de certaines. Parce que vous avez des substances qui sont assez abondantes sur la croûte terrestre. Il y en a 5, qui sont dans cet ordre :
• L’aluminium,
• Le fer,
• Le magnésium,
• Le titane,
• Le manganèse.

En dehors de ces 5 substances, on est sur des concentrations qui sont très faibles. Sur la gauche, des exemples de teneurs d’exploitations à l’échelle internationale. Ce sont les teneurs d’exploitation ; c’est-à-dire que quand on parle d’une mine de cuivre, une mine de cuivre qui est riche, il y a 2% de cuivre dedans. Une mine d’indium qui est riche, il y a 100 g/tonne dedans. Alors il n’existe pas de mines d’indium : c’est une mine de zinc dans laquelle on récupère l’indium. Une mine d’or moyenne, c’est 1 g/tonne.

Donc quand on dit 1 g/tonne, 2%, etc. quand on parle de tous ces chiffes-là : si vous avez 1 T pour de l’or, sur la tonne que vous allez extraire, traiter, broyer, etc., vous ne récupérez que 1 g de métal. Un seul gramme. Ça, c’est pour les métaux précieux.

Et à droite [schéma], vous avez la deuxième réalité de la mine. Vous avez au centre un certain nombre d’éléments : l’or, le zinc, le plomb, peu importe. Et vous avez plein d’autres éléments qui gravitent autour. On ne va pas rentrer dans le détail de cette roue, mais c’est pour vous montrer quelque chose d’important. Une mine d’or par exemple, vous voyez tout en haut [Au-dessus de Au], un certain nombre d’éléments, et notamment du mercure, de l’arsenic, du baryum de l’uranium, du cuivre, de l’antimoine.
En fait, quand vous exploitez une mine d’or - vous le voyez bien sur la figure de gauche -, forcément qu’on va récupérer l’or, mais on va jeter tout le reste.

Et donc ça veut dire que quand vous parlez d’une mine de quelque substance que ce soit, eh bien elle ne contient jamais que cette substance. Elle contient un cortège de substances, et la plupart de ces substances sont souvent toxiques.

Si vous avez compris ce premier slide, vous savez d’ores et déjà que quand je vais vouloir sortir 10 T d’or, eh bien il va falloir que je fasse 10 millions fois le gramme qui m’intéresse. Quand je veux sortir 1 million de tonnes de cuivre, eh bien je vais devoir sortir des quantités phénoménales de roches, les extraire et les traiter.

J’ai pris l’exemple du cuivre, parce qu’on parle beaucoup du cuivre, puisqu’on parle beaucoup d’électrification. Donc autant prendre un exemple qui va beaucoup être évoqué à l’avenir.

Ce schéma peut être adapté à beaucoup de métaux. Pas tous, mais quasiment tous.
On va commencer par prendre un minerai - vous vous souvenez : ces minéraux imbriqués -. Là, ce qui nous intéresse, c’est les minéraux d’aspect dorés : un sulfure de cuivre. Les concentrations, c’est 0,2-0,3 à 2%. Ensuite, on va faire un concentré. C’est la deuxième étape. On va séparer dans la roche, les petites grains gris des grains dorés. Et on va faire un concentré de grains dorés. Mais ces grains dorés, ce n’est pas du cuivre. Ces grains dorés, c’est du cuivre, du soufre et du fer.
Donc la 3e étape, c’est l’extraction. Je vais devoir récupérer dans une 3e étape, le cuivre.

Enfin, 4e et dernière étape : le raffinage. Par exemple pour le cuivre, dans un concentré on est autour de 30%. Pour le blister, c’est-à-dire le moment où on va s’occuper d’extraire le cuivre, on obtient des espèces de pavés noirs bizarroïdes. C’est ce qu’en fait on appelle un blister. C’est-à-dire que c’est issu d’une fonte ; on a fondu le concentré précédent - on l’a fondu dans des fours, tout simplement -. Et on obtient un cuivre, mais qui ne contient que 98 à 99,5% de cuivre. Et ce cuivre-là, ce cuivre grossier, ne peut pas être utilisé par l’industrie.

C’est pour ça qu’on a besoin de la 4e et dernière étape, qu’est le raffinage, pour obtenir un cuivre à 99,99% - là en l’occurrence, sous forme de cathode -. Et c’est ça qui va partir à l’international, pour la fabrication des objets, des composants, etc. On va en faire des fils, des plaques, des tôles…

Et forcément que ce processus extrêmement laborieux, requiert deux choses :

• Beaucoup d’eau, énormément d’eau. D’après une étude que SystExt a réalisée en 2020, on estime qu’une mine moyenne d’or consomme autant d’eau par an, que 80000 habitants en France.
• En termes d’électricité aussi. Si je reprends la même étude, on estime - ce sont des ordres de grandeur - que une mine moyenne d’or consomme autant d’électricité que 31000 foyers français. Encore une fois, ce sont des ordres de grandeur. Je n’ai parlé que d’une mine.

Pourquoi est-ce que je vous parle de tout ça ? Parce que c’est important de se rendre compte que la mine, très loin de là, ne se résume pas à la partie de l’extraction. On voit de jolis camions dumper où tout le monde aime prendre la pose, parce que c’est très, très grand, et que c’est très impressionnant. Ça, ce n’est que le début en fait. Vous êtes très, très loin d’avoir obtenu le métal dont vous avez besoin pour l’industrie. Très, très loin. C’est cela qu’il faut avoir en tête.

• 80% de la dépense énergétique d’un site minier, c’est le broyage. C’est uniquement le broyage. Pour pouvoir ensuite mener les opérations que je vous présente.
• 70% de la consommation d’eau d’un site minier, c’est uniquement la partie concentration. Donc tout va se jouer dans notre capacité à récupérer des quantités infinitésimales dans des amas de roches qui sont énormes, pour pouvoir récupérer le métal in fine.

Et donc, forcément à chaque étape que je viens de vous décrire, on va générer des quantités de déchets considérables.
Vous avez d’ailleurs ici une citation de Goodland de 2012. C’est d’ailleurs considéré par la plupart des auteurs comme étant l’une des problématiques les plus importantes de l’industrie minérale. C’est-à-dire la quantité gigantesque de déchets que l’industrie minérale produit.
L’industrie minérale, c’est le premier producteur de déchets solides, liquides, et gazeux, tous secteurs industriels confondus.

Vous avez ici un exemple : la mine de Panabora en Afrique du Sud. La mine à ciel ouvert [à gauche sur le slide], a été ouverte en 1964. La boule, qui a été représentée par le journaliste Ilon March, représente bon mal an, la quantité de cuivre qui a été extraite jusqu’en 2007. C’est une simulation pour qu’on se rende compte de ce que ça représente. La même boule est représentée sur la droite, par rapport à une vue satellitaire du site minier. L’emprise blanche, c’est l’emprise des déchets miniers et des installations de surface. Alors si on parlait de déchets qui étaient anodins et qui se dégradaient, personnellement, ça ne me poserait pas de problèmes. En l’occurrence, les déchets de métal ne se dégradent pas. Une pollution d’aujourd’hui est valable demain. Vous en avez peut-être entendu parler : dans certaines régions de France aujourd’hui, on souffre de pollutions qui sont liées à l’exploitation romaine, par exemple. Ce sont des pollutions millénaires. Et parmi la plupart des métaux, on a des métaux toxiques. Certains vont peut-être vous évoquer quelque chose. On est des très gros générateurs de plomb, et d’arsenic. De mercure : un petit peu ; pas beaucoup, mais on est quand même d’assez bons producteurs de mercure.

Peut-être certains connaissent le cadmium, l’antimoine, Ce sont des métaux qui sont toxiques pour toute forme de vie. Il n’y a pas de débats sur la toxicité de ces substances. Et donc, forcément que, gros consommateurs d’eau, gros consommateurs d’énergie, grande emprise en surface, va être à l’origine de dommages et de dégradations irréversibles. Et j’insiste sur ce point. Parce qu’il y a beaucoup de discours qui consistent à dire que on peut réhabiliter, dépolluer, etc. Alors, il y a une phrase qui fait partie des dix commandements de SystExt : on ne dépollue pas un site minier.

On peut le foutre sous la terre, mettre de la terre par-dessus, pour essayer de cacher la misère. Mais ça ne se dépollue pas. La seule chose si vous voulez dépolluer, c’est prendre tous les déchets et les déplacer. C’est la seule option qu’on aie. Ce sont des déchets toxiques, et on ne peut rien faire d’autre, la plupart du temps. Et comme je le disais, on a des images d’Épinal, et on pense que la mine d’aujourd’hui , elle est beaucoup moins prédatrice, elle est beaucoup moins impactante. Donc j’ai pris trois cas. Et je n’ai pas voulu aller très loin ; parce qu’on va souvent à l’autre bout du monde pour essayer en fait de dénoncer des pratique qui seraient inacceptables à l’autre bout du monde. J’ai envie qu’on reste en Europe.

Ceci est la première source de gaz à effet de serre en Europe. C’est la mine de lignite de Hambach (Allemagne). Son emprise en 2017 est évaluée à 44 km2. L’objectif est qu’elle s’étende jusqu’à 85 km2. La forêt au SE, est une forêt primaire. 90% a été détruit, et l’objectif est de détruire les 10% restants. La mine a déplacé 5200 personnes. Au sud, deux villages : Morchenig ( ?), et Manheim. La réinstallation est prévue sous peu. On parle encore de milliers d’habitants. Et ça, c’est une mine d’aujourd’hui. En l’occurrence, elle a ouvert en 1978.

Autre exemple ; on a parlé de lignite, un charbon pauvre. On peut prendre un autre exemple. Le premier producteur mondial de nickel et palladium - on parle beaucoup de nickel, mais beaucoup de palladium et de platine aussi, dans le cadre de technologies à hydrogène -. Vous avez ici le site de Norilsk (Russie), situé à 400 km au nord du cercle polaire, en Sibérie. C’est l’un des plus gros sites miniers de production de ces métaux.

Vous avez cette citation, que je trouve très inspirante, de la NASA : les émissions de dioxyde de soufre de ce site industriel, correspondent davantage aux émissions passives d’un volcan. Il n’y a qu’un seul volcan dans le monde qui émet plus de dioxyde de soufre que Norilsk : Ambrym au Vanuatu. Pour donner des ordres de grandeur, entre 2004 et 2015, le site de Norilsk émettait chaque année 2 MT de dioxyde de soufre. Ce qui correspond aux émissions du pays français dans son intégralité.

Vous avez des problématiques majeures. Tout ce qui est en bleu et en gris, ce sont des déchets miniers. Tailings pond : ce sont des résidus de la 3e étape que je vous présentais tout à l’heure, pour la métallurgie. La photo n’est pas manipulée. J’insiste : il n’y a pas de filtre. C’est la vraie couleur. Et c’est justement ce dépôt qui fait à peu près 3 km2 d’emprise, qui a une petite tendance à fuir. Ça, c’est la rivière Daldykan, suite à une fuite de ce dépôt rouge. Pour information, pendant longtemps, les exploitants ont dit que c’était tout à fait naturel, et qu’il n’y avait vraiment pas de quoi s’inquiéter. Finalement, ils sont revenus dessus, parce que c’était quand même un petit peu trop visible !

Et puis un autre cas, qui est encore en exploitation : une mine qui a été ouverte assez tardivement aussi, dans les années 1960. Les géologues l’ont reconnue dans les années 1960 : la mine de Grasberg, une mine de cuivre - or. En termes de réserves, c’est la 1re mine d’or au monde, et la 3e mine de cuivre au monde. Elle se trouve en Papouasie occidentale (Indonésie).

Le site minier, vous ne le voyez pas : il se trouve à 4000 m d’altitude. Et ce que vous voyez en bas, en fait, c’est la zone qui se trouve en aval. En fait, cette mine fonctionne à ciel ouvert, et en souterrain. Et chaque année, elle génère 4 MT de déchets. Alors je vous donne des ordres de grandeur, et vous allez me dire que 87 MT, c’est gigantesque ! Et quand on se trouve à 4000 m d’altitude, qu’on est dans une zone à forte activité sismique, eh bien tout le monde s’est mis d’accord pour faire le plus simple possible.

Puisque vous ne savez pas faire des déchets miniers, jetez-les du haut de la montagne ; ça va bien finir par atteindre la mer, à force. Chaque année, 87 MT. Cette pratique, s’appelle le déversement volontaire. Ca fait des années que des associations comme SystExt demandent que ça s’arrête. Définitivement.

Donc ces déversements volontaires, vous avez une illustration qui est tirée des rapports de l’exploitant. Et une vue satellitaire. On estime que 250 km2 d’eaux de surface et souterraines, sont polluées désormais. Et on estime que la surface totale impactée par le site, c’est 2,6 millions d’hectares. Cela correspond au territoire belge.

Et je voudrais finir sur autre chose. Quand on parle des limites, on exploite : on a deux variables à prendre en compte.

• La première, c’est que teneurs d’exploitation diminuent, rapidement et drastiquement, sur toutes les substances.

• Les gisements facilement exploitables - ceux qui étaient proches de la surface, ceux qui étaient riches - sont de moins en moins nombreux.

• La troisième tendance - c’est du bonus, je vous la rajoute -, c’est que les minerais qu’on exploite, sont de plus en plus complexes et réfractaires. Complexe, ça veut dire qu’il y a plein d’imbrications, avec plein de minéraux et d’éléments. Donc c’est de plus en plus difficile à traiter. C’est-à-dire qu’il faut mettre de plus en plus de produits chimiques, de plus en plus d’eau, de plus en plus d’énergie, broyer toujours plus fin. C’est cette dynamique-là.

Les minerais réfractaires, sont très intéressants parce que les exploitants sont de plus en plus concernés à ça. C’est-à-dire que les acides, les produits chimiques qu’on mettait jusqu’à maintenant pour récupérer le métal, en fait on n’y arrive plus. On commence sur certains gisements à avoir des limites.

Notamment par exemple, peut-être que vous le savez : pour l’exploitation de l’or, on suit le même schéma que je vous présentais globalement. Et le problème, c’est qu’il faut aller chercher l’or en toute fin. Et pour aller chercher l’or, il n’y a qu’un seule substance qui peut aller le récupérer : le cyanure - Le mercure aussi, mais le mercure n’est pas utilisé à échelle industrielle. C’est pourquoi je ne parle que du cyanure -. 80% de la production d’or dans le monde, repose sur de la cyanuration. On cyanure : on met du cyanure, pour aller récupérer l’or. Eh bien, on se retrouve de plus en plus avec des minéraux où l’or n’arrive même plus à être récupéré par le cyanure. Pourtant, le cyanure c’est costaud.

C’est un peu pour vous donner ces évolutions-là. Pourquoi ? Parce que tous les chercheurs qui sont spécialisés sur ces questions - Mud, Norgate, il y en a pléthore… -, ça fait plus de trente ans qu’ils disent : attention, plus le temps avance, plus les teneurs diminuent, plus les impacts augmentent. C’est-à-dire que plus le temps avance, plus c’est compliqué pour les miniers d’exploiter des métaux. Donc on est toujours en train de repousser les limites. On va de plus en plus profondément dans la terre. Les mines les plus profondes se trouvent en Afrique du Sud, elles sont à 4 k de profondeur. Heureusement que c’est de l’or, sinon ce ne serait pas rentable.

Donc on va de plus en plus profond. On exploite des minerais, qui sont de plus en plus compliqués, sur des échelles de plus en plus grandes. Et ce que disaient ces chercheurs, c’est que plus le temps va avancer, et plus la consommation d’eau va augmenter, plus la quantité de réactifs va augmenter, plus la quantité d’énergie nécessaire à l’exploitation de ces métaux va augmenter. Avec des courbes qui sont exponentielles. Et vraiment exponentielles.

En parallèle de ça, ça c’étaient les prévisions qui avaient été faites, et elles se remarquent, puisque sur ce slide à gauche, vous avez une étude du groupe international sur les ressources, le International Resource Panel (IRP) - le groupe international d’experts sur les ressources -, qui avait simplement regardé une toute petite période à l’échelle de l’humanité : 2000-2015 (uniquement 15 ans).
Alors bien sûr, c’est schématique ; il y a des ordres de grandeur, ce sont des modèles. Mais intéressons-nous quand même aux conclusions : une augmentation massive des impacts. Et cette augmentation est liée aux phénomènes que je viens de décrire. C’est-à-dire que plus le temps avance, plus ça va être compliqué d’aller chercher des métaux. Parce que là, on commence à arriver à des limites physiques. Aujourd’hui, on va chercher de l’atome d’or. Alors moi, je veux bien que vous me demandiez de chercher en dessous de l’atome d’or. Mais je vous répondrais qu’il n’y a rien en dessous de l’atome, puisqu’on va déjà chercher des atomes !

Donc il y a des limites physiques. Et ce sont ces limites physiques qui vont induire une croissance exponentielles des impacts. C’est inévitable, tout le monde le sait ; et on commence déjà à voir l’évolution. Donc il y a ce phénomène-là, et il y a le phénomène assez logique de : on augmente la production. Donc si vous avez un impact qui a une unité 1, vous doublez la production : l’impact a une unité 2. Et on n’arrive pas à infléchir la courbe. C’est-à-dire que contrairement à ce qu’on pourrait croire - beaucoup de discours sont extrêmement rassurants, pour dire : mais non, maintenant on a des technologies révolutionnaires, etc., et on va arriver à inverser la tendance -, c’est l’inverse qui se produit : on accélère les impacts dans l’activité minière. Et pourtant, Dieu sait - et je viens de vous le montrer - que ce n’était pas brillant jusqu’alors.

Et ce qui est encore plus inquiétant, c’est que comme on a des difficultés d’accès aux gisements, on va aller dans trois grandes zones. Là, je me base sur les travaux de Sonter et al.
• Les zones protégées pour les populations autochtones et les peuples tribaux.
• Dans des zones qui sont déjà occupées, urbanisées, aménagées.
• Et dans des zones à forte valeur écologique.

Et c’est ainsi que Sonter et al., à partir d’un peu plus de 62000 sites soit fermés, soit en opération, soit en projet, ont démontré que la mine, actuellement, elle impacterait 50 millions de km2, et qu’il y a 10-15% de ces mines qui sont soit sur des aires protégées, soit sur des zones naturelles, soit sur des zones clé de la biodiversité.

Donc pour conclure cette partie, je vous incite à vraiment réfléchir à cette citation. Cette citation, elle nous dit à tous - on se souviendra collectivement que Sonter et al. l’avaient dit en 2020 - : Compte-tenu des projections pour les énergies renouvelables, les véhicules électriques, etc., on s’attend - et les impacts pourraient (pour l’instant il y a juste un mais) surpasser ceux qu’on avait essayé d’éviter sur le changement climatique, en faisant justement appel aux technologies dites renouvelables (véhicules électriques, etc.). C’est-à-dire que la pression minière pour répondre aux objectifs de : il faut des véhicules électriques, il faut de l’électrification, il faut des dispositifs numériques, il faut, il faut, il faut… ; derrière la réalité, c’est ça. C’est-à-dire qu’à force, ce que disent Sonter et al., c’est que les impacts de la mine pour répondre à ces injonctions, risquent d’être supérieurs aux effets qu’on avait justement essayé d’éviter, en faisant appel à ces technologies.

Modèle de développement et MPM : les dérives

Donc justement, parlons des tendances, et de la deuxième limite. On a été de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Maintenant on va faire l’inverse : aller de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Et la première chose qu’il faut avoir en tête - c’est pareil, il y a beaucoup d‘images d’Épinal -, c’est que nous vivons dans un monde où il y a une économie de la croissance qui est basée sur les ressources minérales. Et ça ne date pas d’hier ; ça date d’il y a plusieurs centaines d’années. Et toutes les révolutions industrielles - même si sur le slide c’est très schématique - on pourrait largement critiquer, mais ce n’est pas grave : c’est un schéma -, toute l’industrialisation est basée sur les matières premières minérales (MPM).

Et j’aime beaucoup cet exemple-là, notamment pour la toute première évolution industrielle, et donc la question notamment de la machine à vapeur - c’était quand même un énorme progrès industriel -, j’aime beaucoup rappeler que la raison pour laquelle on a développé la machine à vapeur, c’était parce qu’on avait besoin de systèmes de pompage performants, dans des mines de charbon en Grande-Bretagne. Parce qu’on était arrivé à des profondeurs telles, qu’on n’arrivait plus à retirer l’eau suffisamment, pour pouvoir descendre à l’intérieur du gisement. Et donc on a fait appel à la machine à vapeur, pour pomper le plus possible.

Donc c’est vraiment le summum - je reprends encore une citation de l’International Resources Planet - du développement économique. C’est-à-dire qu’on a toujours été concerné par des métaux. Mais regardez-nous ! Mon maquillage, mes vêtements, la boucle [de la ceinture] - je n’ai même pas de bijoux -, la nourriture que je mange, via les engrais. Les sièges sur lesquels vous êtes assis, les teintures qui sont dans les pantalons. Je n’ai même pas besoin d’aller dans le numérique.

Autre chose aussi, cette économie de la croissance, on l’a toujours vécue comme ça. Alors certes, on l’a peut-être oublié collectivement, individuellement. Mais en l’occurrence, on a toujours vécu comme ça. Je me base notamment sur cette citation de Fressoz (2020), qui est très utile : Au 20e siècle, malgré les guerres, malgré les crises économiques, en fait on a fait quelques ralentissements temporaires de la production de métaux. Mais on a toujours accéléré, on a toujours augmenté.

Qu’est-ce que vous constatez sur ces deux diagrammes qui ont été repris par SystExt, à partir des données de l’United States Geological Survey (USGS) - l’équivalent du service géologique nord-américain ? A partir de 2000, il y a une explosion. 4 substances sont représentées : l’acier, le fer d’une part, puisqu’on est sur les mêmes ordres de grandeur, en milliards de tonnes produites [slide de gauche]. Et l’argent et le cuivre [slide de droite]. Alors j’ai dû mettre deux ordonnées, parce que ce n’étaient pas les mêmes ordres de grandeur. Pour le cuivre, on est plutôt en millions de tonnes, pour l’argent on est plutôt en milliers de tonnes. Mais vous voyez cette évolution ? On a toujours consommé de plus en plus de métaux. Alors on n’était peut-être pas tous au courant, mais ceux qui travaillent dans les métaux le savaient déjà depuis très longtemps.

Regardez bien ce que dit Fressoz, parce que je pense que c’est important : entre 2002 et 2015, en à peine 13 ans, on a extrait autant de matière que tout ce qui avait été extrait depuis 1900 [en fait, le slide parle plus exactement « autant de matière que le tiers de tout ce qui avait été extrait depuis 1900 »].
C’est pour vous dire le phénomène d’accélération. C’est un phénomène d’accélération qui est déjà en route avant même qu’on mette dans le débat public le numérique, les énergies renouvelables, ou l’aéronautique. C’est important à avoir en tête.

Sur le slide suivant [tableau de Mendeleïev] , vous avez un diagramme, un travail d’analyse fait par SystExt, qui n’est pas encore paru - c’était pour l’exclusivité pour l’USI ! -. C’est un long travail qu’on a fait, où on a repris toutes les substances métalliques. Et on a regardé à partir de quel moment elles apparaissaient dans l’Histoire. C’est assez intéressant de constater que dans l’Antiquité, on parlait plus de l’or, de l’argent. On parlait du fer, du cuivre et de l’étain - ça fait du bronze, quand on les allie -. Et puis petit à petit, on a développé. Mais il y a un premier grand gap [saut], qui intervient dans le courant du 19e, puis dans tout le courant du 19e. C’est normal, parce que la métallurgie - donc la 3e étape - a énormément progressé à cette époque, grâce aux chimistes. Ce sont les chimistes qui ont permis d’isoler les métaux - on réussissait à récupérer un certain nombre de substances -. Au tournant du 20e siècle, on en rajoute un pavé. Et puis au 21e siècle, on en rajoute un très, très grand, pavé. C’est ce que Bilhoux et Guillebon appellent la « sollicitation toujours plus grande de la table de Mendeleïev ».

Ce que je vous ai montré avant, c’est la croissance quantitative. On consomme de plus en plus de métaux, mais ce qui est intéressant, c’est de voir aussi le qualitatif. C’est-à-dire qu’en termes de types de métaux différents, eh bien on fait appel à tout ce qu’on connaît. Il y a forcément un truc qui va être utile pour quelque chose.

slide sur le téléphone portable - Et ça, c’est ce que vous avez soit dan la main, soit dans la poche, soit dans le sac. Alors quand vous voyez ça, vous n’avez plus le droit de voir de la même façon un téléphone portable. C’est une étude faite par SystExt en 2017. C’est une animation en ligne : vous pouvez cliquer, ça vous montre une fiche qui détaille à quoi sert quoi, où et pourquoi.
Il y a 52 substances, pour un total de 51 occurrences. Donc 52 substances différentes, 51 petites étiquettes. C’est le contenu moyen, pas le contenu réel : chaque modèle change, chaque marque change, en fonction des modèles, etc.

slide sur la seconde table de Mendeleïev - Et pourquoi je vous en parle ? Parce que forcément, ça a une implication encore plus forte sur les modèles actuels associés à la transition énergétique. Alors là, je ne l’ai pas fait sous la forme d’étiquettes : j’ai carrément pris la table de Mendeleïev. C’est-à-dire, la table de toutes les substances connues, avec 118 éléments. Ce sont 118 éléments qu’on connaît.
Ceux qui sont en gris clair ou en gris foncé - par exemple le tchétchénium, ou le divinium -, ce sont des éléments présents soit à l’état traces, soit des éléments dits synthétiques (que l’on ne trouve pas à l’état naturel, ou alors qu’il faut synthétiser en laboratoire pour avoir des quantités suffisantes). Si vous enlevez toutes ces substances, il en reste 85 éléments chimiques, dits « naturels ».

D’après une étude de l’Öko-Institut, qui regarde l’électro-mobilité au sens large, depuis l’hybride jusqu’au 100% électrifié, il y avait au moins 71 substances - alors, quand je dis 71 substances, attention : j’ai mis en vert foncé, ce que l’Öko-Institut avait identifié. Et j’avais rajouté les éléments de base. Et 4 éléments dont on n’ose pas dire qu’ils sont peut-être dans la voiture (le cadmium, le mercure, le thallium et le brome, qui sont 4 substances légiférées par la directive européenne sur les substances dangereuses - c’est la raison pour laquelle en général, on espère qu’ils n’y sont pas (mais ils y sont souvent) -).

Si je prends en compte tout ça, ça veut dire que dans un véhicule électrique - encore une fois, c’est une moyenne ; allez, un véhicule de l’électro-mobilité -, il y aurait donc 75 substances sur 85 éléments chimiques naturels, connus.

Ça veut dire que si je regarde ce tableau, je peux encore mettre de l’hélium, du néon, de l’iode, de l’astate et du radon. Ah, du radium aussi : ça va être compliqué. Sinon je ne peux plus rien mettre dans les voitures : j’ai tout mis.

slide sur l’implication des modèles dans la transition énergétique

Dernier point par rapport à ça, si on veut regarder en termes d’ordres de grandeur. J’ai récupéré deux diagrammes. Le diagramme de gauche, c’est à partir de leurs données, mais ça a été mis en forme. Et le diagramme de droite est directement issu de cette publication : Gregoir, L. & van Acker. C’est une étude qui a été notamment mandatée par Eurométaux, qui a été publiée en avril 2022. J’ai mis à jour mes fiches juste avant de venir vous voir, pour être sûre que je vous donnais les derniers chiffres d’actualité.

Alors on a dit que ça croît beaucoup. C’est porté par plein de secteurs (construction, transports…). Et maintenant, on va rajouter la croissance énergétique par-dessus. Il y a une croissance déjà énorme, et on va rajouter par-dessus. Et ça fait dire à Vidal, un chercheur, qui disait avec son équipe que si on prend tout en compte, la croissance qui est en cours, et on rajoute la croissance énergétique et la croissance numérique - il faut se souvenir de ces chiffres, parce qu’il ne faudra pas qu’on se dise, on ne nous l’avait pas dit : on nous l’a dit. - ; il y a des gens qui nous ont dit que la quantité de métaux à produire au cours des 35 prochaines années (c’était en 2018, à l’horizon 2050), on dépasserait la quantité cumulée produite depuis l’Antiquité.

Donc ça veut dire que ce que je vous ai montré sur trois sites, sachant qu’il y en a des dizaines de milliers - mais vous allez dire : oui, mais ils ne sont pas aussi dramatiques que ceux-là. Certes. Mais si vous voulez, je vous emmène une semaine avec moi ; moi je vous fais faire le tour de plein de sites, hein. Pareil. Il n’y aura peut-être pas du rose, ce sera du jaune. Ce ne sera peut-être pas du violet, ce sera du bleu. Mais enfin, je vous en trouve des centaines comme ça. Donc tout ce qu’on a déjà fait, il faut multiplier ça. C’est-à-dire qu’il faut en sorte que pendant les 35 prochaines années, on fasse déjà tout ce qu’on a fait. En 35 ans ? Moi personnellement, je n’assume pas. Si vous, vous assumez, moi je n’assume pas ça. Ça, c’est impossible ; ce n’est pas possible.
• Ce n’est pas possible pour la pollution des sols,
• Ce n’est pas possible pour la pollution de l’air,
• Ce n’est pas possible pour la pollution des eaux,
• Ce n’est pas possible pour l’aménagement des territoires,
• Ce n’est pas possible pour la protection des populations autochtones,
• Ce n’est pas possible pour la protection des fonds marins.

Ce n’est pas possible pour rien. Donc il y a bien quelqu’un à un moment qui doit le dire, quoi. Ce n’est PAS POSSIBLE. Ça, ça n’a aucun sens.

Et donc, j’attire votre attention sur un élément, le diagramme de droite. Alors, le diagramme de gauche montre les pronostics de ces augmentations, par substance. Par exemple, on annonce que pour le lithium, il faudrait multiplier la production par 21. Moi je vois déjà les mines de lithium au Chili, en Argentine, les dégâts qu’elles font : il faut multiplier ça par 21 ? Sachant qu’on sait qu’on va avoir de plus en plus d’impacts ? C’est-à-dire que du coup, on va certes multiplier la production par 21, mais peut-être les impacts par 35 ? Moi je ne comprends pas.

Et en face, les diagrammes de droite représentent la part à la fois des technologies, et à la fois des métaux, dans les pronostics d’augmentation. Dans ces diagrammes, vous avez la masse totale de métaux en plus qu’il faut pour assurer la transition énergétique.

• En turquoise : 50 à 60% de la demande métallique dans les scénarios énergétiques à venir, c’est le véhicule électrique. 50 à 60%, c’est juste le véhicule électrique !

• Ensuite, 35% à peu près : c’est le solaire et l’électrification.

• Et toutes les autres technologies énergétiques, pour la demande en métaux, que ce soit nucléaire, hydroélectricité, batteries stationnaires, etc., c’est 5%.

Pour un changement de paradigme

Alors, ne restons pas sur ce constat, qui montre que nous avons déjà poussé les limites beaucoup trop loin, et que là nous sommes en train de les pousser au-delà de l’imaginable. Je trace des perspectives. Mais je pense que collectivement, il y a plein de choses à faire. Je n’ai fait que trois slides, parce que je me suis dit qu’on va essayer de rester sur le plus important. S’il fallait identifier, dans ce monde-là, toutes les substances, tous ces sites miniers, tous ces appareils numériques, toutes ces habitudes de vie qu’on a pris, s’il fallait identifier le plus urgent ; qu’est-ce qu’on fait, demain à partir de maintenant ?

1. On interdit les pratiques à l’origine des impacts les plus graves. On commence par ça. Ça veut dire que quand les exploitants miniers nous expliquent qu’ils ont des pratiques vertueuses, je veux bien les croire ; mais d’abord ils signent en bas de la page pour me dire qu’ils arrêtent les pratiques les plus destructrices. Que l’on sait destructrices, et pour lesquelles il y a des recommandations d’organismes internationaux comme le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), comme le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), ou comme l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), où il s’engagent à respecter ce que disent les institutions internationales. Et là, on peut commencer à discuter.

2. On remplace les meilleures pratiques disponibles - vous avez un jargon sur les meilleures pratiques. SystExt est en train d’étudier ça, on est en train de pleurer -, les meilleures façons de faire ; on remplace tout par des vraies pratiques respectueuses de l’Homme, et de l’Environnement.

3. On définit en urgence - si vous connaissez des gens dans les instances internationales, vous leur dites : en urgence. C’est dans les clous chez certains organismes, mais ça n’avance pas ; on va définir des « No-Go-Zones ». Si on va exploiter dans certaines zones, quels que soient les engagements qui sont pris par les exploitants - faites-moi confiance : des sites, j’en ai étudié des milliers, depuis quinze ans -, on vous dit : on va aller sur une zone à haute valeur écologique, il n’y aura pas d’impact ; c’est faux ! C’est faux ! Donc on met en place des « No-Go-Zones ». C’est-à-dire des zones qu’on va protéger. Pour nous, pour nos enfants, pour demain, pour les générations futures. Ces zones-là ne doivent pas voir le début de l’exploitation minière. Alors il faut qu’on se mette d’accord tous ensemble, il faut savoir qu’est-ce qui est le plus riche, etc.,, Mais il y a ça à faire.

4. Il faut évaluer l’impact des filières minérales, et donc bien sûr des produits. Tous ceux que vous utilisez, tous ceux qui vous concernent. En n’omettant pas tout ce que je viens de vous présenter. C’est-à-dire, les émissions de gaz à effet de serre, c’est extrêmement important ; ça doit être pris en compte, il n’y a pas de problème avec ça. C’est juste qu’il faut absolument intégrer la pollution des sols, la pollution de l’air, la pollution de l’eau, tel que je vous l’ai présenté précédemment.

5. On améliore la gouvernance. Parce que j’ai encore discuté il n’y a pas si longtemps avec quelqu’un qui travaille dans les serveurs, qui me disait : je suis en train de demander d’où vient mon matériel. J’achète le matériel, je l’ai dans les mains, mais je ne sais pas d’où ça vient. Et quand j’interroge mes fournisseurs, personne ne peut me répondre. Eh bien, on améliore absolument ça. C’est-à-dire qu’il faut que quand vous achetiez un dispositif, quel qu’il soit, que ce soit à titre individuel ou à titre collectif, vous avez le droit d’accéder à l’information. De même que quand vous achetez un morceau de bœuf, ou de je ne sais quel autre produit, on vous dit : ça vient de là. Vous achetez un fruit : on vous dit que ça vient du fin fond de machin… Vous avez le droit de savoir d’où vient le métal que vous utilisez.
Et ça, ce droit-là, personne ne le réclame, alors que pourtant, si on savait d’où ça vient, peut-être que ça nous aiderait.

6. Modifier le rapport au métal. En fait, c’est très important. Vous n’avez pas entendu parler de ce truc de fou, le cargo Global Dream 2 ? Il y a un cargo de 342 m de long, qui est fini à 80%. Mais comme on n’arrive pas trop à le valoriser, etc., savez-vous ce qu’on en fait ? On le jette, on le met à la casse ! Vous savez ce que c’est qu’un paquebot de 342 m de long, en termes métalliques ?! C’est ça qu’on a fait pour l’avoir, ce paquebot. Vous, vous assumez de le jeter ? Moi, j’assume pas. Je vais le chercher, le paquebot ; je vais dire : non, donnez-le moi, je vais le mettre dans mon jardin, je vais essayer d’en faire un truc. Le gaspillage métallique, c’est inadmissible. Le métal se recycle. Si vous le jetez, si vous n’en prenez pas soin, si vous ne l’amenez pas dans des points de collecte, c’est perdu pour perdu.

• Donc 1) on commence par ça, 2) on va vers des conceptions véritablement sobres. Et pas du « bébé sobre ». Je reprends encore ici les propositions de Philippe Bihouix : il faut faire du low tech. Ça ne sert à rien, on s’en fout, que vous sachiez le nombre de bières dans votre frigo ! Enfin, vous êtes intelligent, vous le savez, combien il y a de bières dans votre frigo ! C’est pas la peine ; je veux dire : arrêtez de nous mettre des capteurs, des Leds, des trucs. On vous donne l’heure, on vous dit quand il faut faire toute votre vie. Vous n’avez plus du tout la mainmise sur ce que vous devez faire. On ne vous permet plus d’avoir des boutons, on ne vous permet plus d’avoir un truc. C’est pas possible : dites-vous qu’à chaque fois qu’on vous fait des développements technologiques, quels qu’ils soient - au Japon, il font des commodes… -. Donc il faut ABSOLUMENT qu’on sorte de tout ça. On simplifie, des usages sobres. Une machine à laver n’a pas besoin vous faire la vaisselle. Une machine à laver, elle va laver. Un frigo fait du froid. Un téléphone, téléphone. Si vous voulez aller au cinéma, n’achetez pas un téléphone : allez au cinéma ! Il y a des usages qui sont faits pour ça. Parce que pendant qu’en essaye, du côté des producteurs, de faire en sorte que le même appareil remplisse un milliard de fonctions, eh bien derrière il y a des gens qui triment, et des gens qui souffrent, pour assurer l’approvisionnement en métaux. Et c’est ces gens-là que je rencontre tous les ans, et régulièrement dans l’année, que je tiens dans mes bras, à qui que je n’ai pas de solution à donner. Parce qu’il y a des exploitants miniers qui se contrefoutent de la santé des gens dans les environnements de leurs sites. C’est inacceptable.

• Ensuite, construire des dispositifs non obsolescents, c’est hyper important. Et favoriser la recyclabilité. Vous avez vu le schéma du téléphone tout à l’heure. Comment vous pensez qu’on va recycler ça ? Vous avez la réponse : on ne recyclera pas tout. On va prendre une partie, on va essayer de récupérer un peu, mais on ne recyclera pas. Et privilégiez les métaux qui proviennent des filières de recyclage. Parce que, même si aujourd’hui, on a relativement peu de retour d’expérience - j’en suis consciente, SystExt travaille aussi là-dessus, sur la comparaison des filières des métaux recyclés, et des métaux dits primaires de la mine -, on sait qu’on a un gap substantiel en énergie dépensée. Et là où vous avez un énorme gain, c’est les déchets. Tous les déchets que je vous ai montrés, les boues, etc. ; tout ça, vous allez l’économiser, si vous faites du recyclage. Mais le recyclage, ça doit être en dernier recours. Parce qu’à un moment donné, si vous générez des milliards et des milliards de tonnes de produits qu’il faut recycler, on va avoir de toute façon des problèmes. Donc le recyclage, ça doit être en dernier recours. Avant, c’est la réutilisation. Enfin, déjà le fait qu’on augmente la durée de vie.

• Et enfin, sensibiliser en tout premier lieu, tout le monde, autant que c’est possible, à la matérialité. Prenez du temps, intéressez-vous. Tout ce que vous avez de la paire de lunettes. Je ne sais pas : il y a du sulfure de sélénium dans les shampooings antipelliculaires. Et du cobalt et du plomb dans les teintures. Ça, c’est la réalité des soins capillaires. Je ne parle même pas des véhicules électriques qu’on a vus tout à l’heure. Heureusement que Mendeleïev n’a pas fait un deuxième tableau, sinon ce serait déjà dans les véhicules électriques.

• Alors s’il vous plaît, collectivement, il faut qu’on le fasse. On se dit aujourd’hui : c’est notre résolution, s’il vous plaît. On sort de la mythologie de la croissance verte ! Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement disait que ces dix dernières années, la croissance de la production métallique a cru plus vite que la production économique. Il n’y a pas de croissance verte. Pendant que tout le monde parle de dématérialisation, de cloud, de virtuel, etc., il y en a qui triment derrière. Et il y en a qui sont victimes d’impacts extrêmement graves. Et une fois qu’on aura tout détruit avec la mine, on ne pourra plus restaurer. Donc il y a cette réalité-là.

• Et surtout, surtout, mettre en place des plans d’approvisionnement cohérents. Enfin, des choses cohérentes, quoi. Je veux dire, personnellement, comme je le disais, pour plein d’usages des métaux, on n’en a pas besoin. On le fait pour faire joli. Alors je fais abstraction des capteurs qui vous comptent le nombre de bières dans le frigo. Pourquoi est-ce qu’il y a des gens qui ont besoin de parler à leur four pour leur demander une température à 220° à chaleur tournante ? On ne sait plus appuyer sur un bouton ? C’est pour ça qu’on a besoin de capteurs, c’est pour ça qu’on a besoin de métaux ? Donc il y a aussi cette notion de dire : qu’est-ce qui est cohérent dans notre vie, de quoi a-t-on besoin ? Est-ce qu’on a besoin de petits véhicules électriques par exemple, légers, autopartagés, en zone urbaine ? Pourquoi pas ? Est-ce qu’on a besoin par exemple, de métaux pour le secteur de la santé ? Évidemment. Est-ce qu’on a besoin d’avoir 10, 15, 20 appareils numériques chez soi ? Certainement pas. Ça c’est non.

• C’est pour ça que quand on dit que c’est non, c’est qu’il faut dé-numériser la société. Alors quand je dis dé-numériser, je n’ai pas parlé de sobriété numérique, c’est volontaire. Pourquoi ? Parce qu’on sait aujourd’hui que parmi les taux de croissance - je vous avais montré les croissances jusqu’en 2015 - ; et en fait on a une explosion qui est effectivement liée à la transition énergétique, mais aussi qui est liée à la transition numérique. Ça explose. Pourquoi ? Parce qu’on a besoin de plein, plein, plein de métaux différents. Donc en fait, c’est très, très compliqué. Donc le numérique porte des problématiques vraiment importantes.

En l’occurrence, le dernier mois, j’ai voulu envoyer un colis. Je raconte cette histoire parce que je vais à la poste. J’y vais avec un colis, un carton et j’avais écrit à la main. Vous savez, les trucs normaux, quoi. On m’a obligée à utiliser un écran tactile. Du coup, comme il ne me reste qu’une minute, je vous raconte rapidement l’anecdote. Du coup, je suis allée chercher le vendeur. Je lui ai dit : « Je ne veux pas utiliser un écran tactile. L’adresse est écrite dessus. Vous enregistrez à l’ordinateur, avec l’étiquette ». Le monsieur me dit que non. Du coup, j’ai pris cinq minutes avec lui, je lui ai dit : « Venez avec moi. Je vais vous expliquer ce qu’il y a dans un écran tactile. Vous n’allez plus du tout voir l’écran tactile de la même façon ». [Rires et applaudissements dans la salle]

• Quoi que vous fassiez, il faut réutiliser, on peut recycler, et on peut faire plein de choses. Même si aujourd’hui, le recyclage on est très, très, très, très loin de ce qu’on devrait faire. Dans tous les cas, la seule solution ; alors, on ne va pas mettre les mots qui fâchent aujourd’hui ; en tous les cas il n’y a pas d’autre solution. Vous pouvez prendre le problème par un sens, par un autre. Moi ça fait quinze ans que je prends le problème par un sens, par un autre ; je n’y arrive pas. La seule solution, c’est de diminuer les métaux partout où c’est possible. Partout où les usages des métaux ne sont pas nécessaires, il faut les enlever. Et il faut dès maintenant s’affranchir des métaux qui viennent de la mine. Parce que de toute façon, on sait qu’on ne pourra plus compter dessus dans quelques siècles. Et que donc maintenant, il n’y a pas le choix : il faut diminuer autant que c’est possible. Et surtout faire en sorte de ne plus avoir besoin de métaux issus de la mine.


Publié le mercredi 23 novembre 2022.