Outil de limitation de la pollution de l’air utilisé dans plusieurs grandes villes à travers le monde, notamment en Europe, la ZFE (zone à faibles émissions) est devenue une obligation légale en France pour les principales agglomérations. Pour autant est-ce une solution suffisante pour améliorer la qualité de l’air ?
L’État aux abois
Chaque année, en France on compte 48 000 décès prématurés dus à la pollution de l’air selon une étude de Santé Publique France, pour un coût sanitaire de 100 milliards d’euros annuels évalué par une commission d’enquête du Sénat. La pollution de l’air est une cause de maladies pulmonaires et cardiovasculaires mais pas que : le 10 mars dernier, une étude publiée dans The Lancet Planetary Health, a mis en évidence le lien entre l’exposition à trois polluants (particules fines PM 2,5, le dioxyde d’azote, carbone suie) et la diminution des performances cognitives. Ce constat est d’autant plus amer que la carence fautive de l’État en la matière a été reconnue par le Conseil d’État à trois reprises suite à une action en justice portée par les Amis de la Terre France.
Sa dernière décision, en date du 04 août 2021, a condamné l’État à une astreinte de 10 millions d’euros tous les six mois tant que les normes européennes de qualité de l’air ne seraient pas respectées dans cinq agglomérations : Paris, Lyon, Aix-Marseille, Toulouse et Grenoble. En 2019, elles enregistraient toutes un taux de dioxyde d’azote supérieur aux seuils réglementaires. Le jugement a été confirmé par un arrêt du 28 avril 2022 de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Parallèlement, la loi dite « climat et résilience » du 22 août 2021 a rendu obligatoire l’instauration d’une zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m), avant le 31 décembre 2024, dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants situées sur le territoire métropolitain. A noter que des politiques de restriction de la circulation visant les véhicules les plus polluants étaient déjà existantes à Paris, Lyon, Grenoble et Strasbourg. Les ZFE-m instaurées par la loi visent à réserver progressivement l’accès de la ville aux véhicules détenteurs d’une vignette Crit’air 1, 2 et 3.
La verbalisation pourra débuter en 2024 et s’appuiera principalement sur des caméras. Les polices municipales pourront constater les infractions, mais certaines agglomérations ont déjà indiqué que leurs agents ne seront pas affectés à ce type de contrôle.
La ZFE-m dans l’agglomération toulousaine
Au sein de l’agglomération toulousaine, la ZFE-m englobe l’intérieur du périphérique ainsi qu’une partie de Colomiers et de Tournefeuille. Selon leur type de motorisation et l’année d’immatriculation, certains véhicules sont frappés d’interdiction de circuler depuis le 1er janvier 2023 (crit’Air 4 et 5 ou hors classement), d’autres le seront en janvier 2024 (crit’Air 3). Des dérogations seront cependant possibles pendant trois ans aussi bien pour les professionnels que pour les particuliers : un pass leur permettra de rentrer dans la ZFE, quel que soit leur lieu de résidence, 52 jours par an.
Une solution efficace pour réduire la pollution de l’air localement...
Un rapport de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) de 2020 dressant le bilan de l’efficacité des ZFE dans diverses villes d’Europe relève notamment une baisse significative des oxydes d’azote, de la suie et des particules fines (PM2.5 et PM10) lorsque les ZFE excluent les véhicules n’atteignant pas la norme Euro 5 (entrée en vigueur en 2011). Cependant, pour que les distances parcourues par les véhicules polluants soient effectivement réduites - et pas simplement reportées sur d’autres zones - il est indispensable que la ZFE soit suffisamment vaste.
… mais qui présente d’autres inconvénients si la mesure est isolée
Les ZFE posent tout d’abord un défi social, étant donné le coût d’acquisition des véhicules les moins polluants et notamment des voitures électriques. Malgré le système d’aides de l’État - rééquilibré à compter de janvier 2023 pour inclure des critères sociaux - le reste à charge reste élevé pour les ménages les plus modestes. Un « leasing social », impliquant un loyer ne dépassent pas 100 euros par mois, a toutefois été annoncé par le ministre des transports, Clément Beaune, d’ici la fin de l’année.
Cependant, il va de soi que si les ZFE ont seulement pour effet d’accélérer le renouvellement du parc de véhicules particuliers et professionnels, sans diminuer les distances parcourues, leur bilan écologique global (incluant émissions de gaz à effet de serre et pollutions diverses liées à l’ensemble du cycle de vie) est très discutable. C’est pourquoi les ZFE doivent s’insérer dans des politiques de transports cohérentes, visant la mise en place d’alternatives à la voiture efficaces, permettant à tous d’avoir accès à des alternatives. La concertation est essentielle pour trouver des solutions adaptées et accessibles pour les habitants des communes rurales et périurbaines qui dépendent le plus de la voiture aujourd’hui, d’autant plus qu’une partie non négligeable de la population française se trouve en situation de « précarité mobilité » : 3,7 millions de personnes ne peuvent pas payer les frais d’essence, 4,3 millions de personnes n’ont pas d’alternative à la voiture et 4,3 millions de personnes ne disposent ni de moyen de transport ni d’abonnement aux transports en commun.
On peut également déplorer la frilosité des dirigeants à réduire la vitesse sur les axes routiers, mesure qui présenterait un triple avantage : amélioration de la qualité de l’air, baisse des émissions de gaz à effet de serre et équité sociale.
Toulouse peut (vraiment) mieux faire
Toute ZFE doit donc être accompagnée d’une politique publique forte permettant à chacun d’adopter des alternatives viables, sans pénaliser les plus précaires. C’est dans cette perspective que s’est inscrit le Forum des Mobilités de l’agglomération toulousaine qui a eu lieu en mars 2022 : plusieurs associations (dont les Amis de la Terre), citoyens et élus locaux ont travaillé ensemble pour aboutir à 115 propositions en matière de politique de déplacements (cf notre article Agglomération toulousaine, transports et pollution : “Alors… on va où aujourd’hui ?” ).
Force est en effet de constater que le report de la voiture vers les transports en commun est loin d’être assuré sur l’agglomération toulousaine. Bien au contraire, une étude de l’AUTATE (Association des Usagers des Transports de l’Agglomération Toulousaine et de ses Environs) précise que la Métropole diminue progressivement l’offre de transports de surface avec une dégradation des fréquences de passage sur l’ensemble des lignes ayant un temps d’attente inférieur à 35 minutes. Contrairement aux effets d’annonce sur les Linéos, les nouveaux trajets depuis 2021 (date de l’annonce de la ZFE) sont au nombre de six et le niveau de service des lignes concernées est restreinte : pas de desserte le week-end, seulement onze à dix-sept passages par jour et dernier départ avant 20h. Le financement de la 3e ligne de métro assèche en effet toutes les autres dépenses potentielles.
Étant donné le déséquilibre persistant d’offre de transports en commun entre le cœur de l’agglomération toulousaine et sa couronne, la mise en place de la ZFE risque de s’accompagner de sérieuses difficultés.
Références :
– « La pollution de l’air diminue les performances cognitives », Clémentine Thiberge, Le Monde, 15 mars 2023
– site du ministère de l’écologie : https://www.ecologie.gouv.fr
– rapport « Zones à faibles émissions (low emission zones) à travers l’Europe », ADEME (Agence pour l’Environnement et la maîtrise de l’énergie), septembre 2020
– site des Amis de la Terre France : (voir les communiqués de presse) https://www.amisdelaterre.org
– « Tout savoir sur les zones à faibles émissions » et « Les zones à faibles émissions, une stratégie pas si écologique » Violaine Colmet Daâge, 1er février 2023, https://reporterre.net
– site de l’AUTATE : https://autate.fr
– site de Toulouse Métropole : https://metropole.toulouse.fr