Le premier PLUi-H (Plan Local d’Urbanisme intercommunal valant programme local de l’habitat) a été annulé par la justice administrative entre autres raisons parce qu’il aurait entraîné une augmentation de plus de 50% de l’artificialisation des espaces naturels agricoles et forestiers (ENAF) par rapport à la période 2013-2016. Toulouse Métropole travaille donc à un nouveau PLUi-H sans pour autant modérer ses objectifs de croissance démographique et de création d’emplois.
L’étape du PADD
En tant qu’association agréée protection de l’environnement, les Amis de la Terre ont accepté d’être associés aux principales étapes de l’élaboration du PLUi-H de Toulouse Métropole. Concrètement, l’association est invitée à assister à une présentation suivie d’un échange à l’issue de chaque grande phase d’études et/ou à présenter des observations écrites.
Toulouse Métropole doit débattre de son PADD (Projet d’Aménagement et de Développement Durable) aux personnes morales associées et consultées en Conseil Métropolitain au mois d’avril. Le PADD kezako ? C’est le document qui formalise les objectifs politiques définis dans la démarche d’élaboration d’un PLU. Il vient ainsi après le diagnostic du territoire et avant l’élaboration des documents à valeur prescriptive (zonage, règlement et OAP).
Nous avons produit un avis sur ce PADD qui souligne les contradictions du projet : le document déclare faire de l’écologie une priorité, allant jusqu’à parler de « changement de paradigme » mais maintient des objectifs de croissance démographique et de création d’emplois très élevés. Dès le préambule, le PADD annonce que le territoire « doit maintenir une capacité d’accueil d’environ 9000 habitants par an et ce, jusqu’à l’horizon 2035 » et « être en capacité d’accueillir environ 5000 emplois annuels supplémentaires jusqu’à l’horizon 2035 ».
La croissance démographique écologiquement neutre n’existe pas
Tout habitant supplémentaire a un impact écologique. Certes, dans nos sociétés largement « hors-sol », une grande partie de cette empreinte écologique est délocalisée, ce qui tend à déresponsabiliser aussi bien les citoyens que les décideurs. Quant aux effets locaux du réchauffement climatique, ils sont bien sûr décorrélés de la localisation des émissions de GES. Toutefois, un certain nombre d’impacts locaux lié à la croissance démographique d’un territoire ne peuvent être évités. En voici trois exemples contextualisés.
– La biodiversité
Les trames vertes et bleues (réservoirs de biodiversité et corridors écologiques terrestres et aquatiques) peuvent accueillir un usage récréatif...mais jusqu’à un certain point. Le Projet d’Aménagement Stratégique du SCoT (schéma de cohérence territoriale, document de planification situé au-dessus des PLU dans la hiérarchie des normes) en donne lui-même un exemple concernant la forêt de Bouconne, qui pâtit de surfréquentation. Ce qui est vrai pour la forêt de Bouconne l’est aussi pour d’autres composantes de la TVB (trame verte et bleue) : leur surfréquentation peut entraîner la perte des fonctions écologiques de ces espaces.
– Les îlots de chaleur urbains
Le PADD expose des principes d’aménagement urbain et de conception architecturale visant à limiter l’effet d’îlot de chaleur urbain. Toutefois, comment la mise en œuvre de ces orientations peut-elle compenser le nombre colossal de nouveaux mètres cubes de bâtiments en béton que le projet induit et des mètres carrés de bitume qui les accompagnent ? Rien que pour le résidentiel, il est tout de même prévu la construction de 7 200 logements par an qui ne viendront pas tous remplacer, loin s’en faut, des logements démolis.
– L’eau
L’agence de l’eau Adour-Garonne a publié un Plan d’adaptation du changement climatique du bassin Adour-Garonne dans lequel elle énumère de nombreux impacts prévisibles à l’horizon 2050, parmi lesquels :
• Une baisse moyenne annuelle des débits naturels des rivières comprise entre -20 % et -40 % et de l’ordre de -50 % en périodes d’étiage qui seront plus précoces, plus sévères et plus longues ;
• Une tendance à la baisse de la recharge des nappes phréatiques, très variable selon les secteurs et le type de nappes, allant de +20 % à -50 %.
Elle ajoute : « Ces impacts se font déjà sentir aujourd’hui et vont accentuer la forte tension sur les ressources en période d’étiage, dégrader la qualité de l’eau en augmentant par exemple le risque d’eutrophisation et de toxicité, fragiliser les milieux aquatiques et humides et augmenter la fréquence des phénomènes extrêmes. Et ce, d’autant plus que les projections démographiques font craindre un déséquilibre des territoires : de l’ordre de 1,5 million d’habitants supplémentaires sur le bassin d’ici à 2050, principalement sur la façade littorale et dans les grandes agglomérations, avec un risque fort de désertification des campagnes. Ces migrations locales de population, et les activités économiques qui les accompagnent, vont fortement accroître les besoins en eau sur certains territoires, en opposant souvent l’amont et l’aval des bassins versants. Cela compromet l’accès à l’eau tant pour l’eau potable que comme support essentiel de l’économie (agricole, industrielle et touristique) dans le bassin » [1].
Or toutes les régions françaises ne présentent pas la même vulnérabilité concernant la ressource en eau. En effet, les projections réalisées par Météo-France à horizon 2071-2100 font état d’une légère augmentation des précipitations annuelles moyennées à l’échelle de la France métropolitaine mais avec “une hausse plus marquée sur la moitié nord et une baisse sur certaines régions de la moitié sud”. [2]
La métropolisation : l’expression et le support de la croissance économique mondiale
Le PADD emploie un terme fort pour justifier ses objectifs d’accueil de population et d’activités : la “responsabilité d’accueil” du territoire. Force est de constater que toute économie croissanciste tend à concentrer les emplois dans les villes. Depuis la révolution industrielle, la part de la population urbaine grossit partout dans le monde. L’approfondissement de la mondialisation – stade inéluctable d’une économie en quête permanente de gains de productivité - amplifie ce phénomène de polarisation. Une nouvelle division internationale du travail se met en place, avec des pays choisissant de se spécialiser dans des métiers à haute technicité et à fort contenu innovant [3]. C’est notamment l’objectif que s’est donné l’Union européenne dès le début des années 2000 en adoptant la stratégie dite de Lisbonne qui vise à construire une « économie de la connaissance » prenant corps dans des pôles de compétitivité [4]. La métropole constituant l’espace privilégié pour développer l’innovation, son extension est donc l’expression spatiale d’une “reconfiguration spatiale indissociable de la réorganisation des filières économiques dans un contexte marqué par un capitalisme globalisé et financiarisé" [5].
Le PADD exprime clairement la volonté d’épouser ce mouvement, en parfaite cohérence avec la feuille de route de la politique économique de la collectivité nommée « Ambition 2026 ».
Or une association écologiste comme les Amis de la Terre ne peut pas souscrire à un tel projet. Nous avons suffisamment de recul aujourd’hui pour savoir que croissance économique indéfinie et préservation des équilibres écologiques sont inconciliables. C’est ainsi que nous concluons notre avis, chiffres à l’appui.
Voir l’intégralité de l’avis.
[1] “Le Plan d’Adaptation au Changement Climatique”, Agence de l’eau Adour-Garonne, 2020, https://eau-grandsudouest/usages-en...
[2] “Les nouvelles projections climatiques de référence DRIAS 2020 pour la Métropole”, Météo-France
[3] Des pôles de compétitivité au CICE : faut-il revoir la politique industrielle ?”, Vincent Charlet, dans “La France peut-elle rester compétitive ?”, Cahiers Français n°380, La Documentation Française, 2014
[4] “Les collectivités territoriales et l’Union Européenne : quels pouvoirs, quelles stratégies ?”, Romain Pasquier, dans “Les collectivités territoriales : trente ans de décentralisation”, Cahiers Français n°362, La Documentation Française, 2011
[5] Les Métropoles barbares”, Guillaume Faburel, Le passager clandestin, 2019