La mobilisation contre l’autoroute Toulouse-Castres est sans doute inédite dans l’histoire des luttes contre les grands projets en France, à la fois par la diversité des acteurs impliqués et des formes d’action engagées. Et n’en déplaise à M. Beaune, les opposants au projet ne lâchent rien, d’autant que les recours ne sont pas épuisés ! Voici un point d’étape des mobilisations.
Autorisation environnementale et démarrage des travaux
Pour rappel, la Déclaration d’Utilité Publique (D.U.P.) avait été délivrée en 2018. Les expropriations ont démarré dans la foulée. Cependant les travaux ne pouvaient pas démarrer avant l’obtention d’une autorisation environnementale, qui fusionne plusieurs autorisations requises par le code de l’environnement (autorisation au titre de la loi sur l’eau, autorisation de détruire des espèces protégées, etc…). Les Amis de la Terre Midi-Pyrénées ont produit un avis très fourni dans le cadre de l’enquête publique qui a précédé les deux autorisations environnementales [1] . Il s’appuyait notamment sur les avis - dans l’ensemble très critiques - des instances, services et commissions consultées dans le cadre de l’instruction de la demande d’autorisation et figurant dans le dossier d’enquête publique. L’autorisation environnementale a cependant été délivrée par arrêté inter-préfectoral le 01/03/2023.
Les travaux ont commencés très vite, ainsi que les occupations de terrain à Vendine (près de Verfeil). Cependant, début avril, l’abattage des arbres a dû marquer une pause jusqu’à la fin de la période de nidification. Du 21 au 23 avril s’est tenu un week-end de mobilisation à Saïx, près de Castres, à l’initiative de la La Voie Est Libre, la Confédération Paysanne, Extinction Rébellion Toulouse, ATTAC Tarn et les Soulèvements de la Terre. La grande manifestation du samedi après-midi a réuni 5 000 à 8 000 personnes dans une ambiance bon enfant.
Dépôt des recours contentieux
A la même période, des recours sont déposés conjointement par la Confédération Paysanne, France Nature Environnement Midi-Pyrénées, Nature en Occitanie, le Groupement National de surveillance des Arbres, Village Action Durable, Agir pour l’Environnement, l’Union de Protection de la Nature du Tarn, la commune de Teulat, une société artisanale et bien sûr Les Amis de la Terre Midi-Pyrénées.
Ces recours sont de deux types :
– des recours pour obtenir l’annulation des autorisations environnementales, appelés « recours sur le fond »1
– des référés-suspension, qui visent à suspendre l’exécution d’une autorisation en attendant le jugement du recours sur le fond. Ceci peut être obtenu en cas de conséquences irréversibles du projet et si le juge estime qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de l’autorisation.
Grève de la faim et amplification de la mobilisation
L’entreprise qui construit l’autoroute, N.G.E., pouvait reprendre l’abattage des arbres dès le 1er septembre. Elle ne s’est pas fait prier : dans la nuit, les machines reprennent leur besogne, sous la protection des gendarmes. Les « écureuils » sont impuissants. Thomas Brail, fondateur du Groupement National de Surveillance des Arbres, entame alors une grève de la faim. Il est rapidement suivi par d’autres opposants au projet. Le groupe des grévistes, de tous âges et tous horizons professionnels, mêlant haut-garonnais et tarnais (dont Matthieu Monceaux, ancien trésorier des Amis de la Terre et résidant à Aussillon), appelle tous les opposants au projet à les rejoindre lors de leurs permanences régulières devant le Conseil Régional. Thomas Brail, lui, se poste dès le 14 septembre devant le ministère de la transition écologique.
Le mouvement de grève de la faim entraîne l’arrivée de nouveaux acteurs dans la lutte, une multiplication des prises de position publiques et une avalanche de courriers aux élus et mandatés.
Fin septembre, l’association « Envol Vert », spécialisée dans le développement de l’agroforesterie, et qui avait rompu son partenariat avec le groupe Pierre Fabre fin 2022 en raison du soutien du groupe à l’autoroute, écrit une lettre ouverte à Carole Delga, signée par plus de trente associations locales. L’opposition publique au projet s’étend au-delà du cercle militant. A titre d’exemple, un groupe de chrétiens habitants ou originaires du Tarn publie début octobre une tribune par laquelle ils plaident pour un progrès « au service du plus grand nombre » et respectant le vivant.
Bien évidemment le point d’orgue de ces prises de positions est la lettre ouverte au Président de la République, écrite par des membres de l’Atecopol [2] et signée par plus de 1 500 scientifiques.
Plaidoyer des Amis de la Terre Midi-Pyrénées et de nos corequérants
Fin septembre, les Amis de la Terre Midi-Pyrénées décident d’écrire à onze responsables politiques, de la Première Ministre au Maire de Mazamet en passant par le Président du Conseil Départemental du Tarn. Ce courrier, également signé par la plupart de nos corequérants dans un délai serré, a reçu à ce jour seulement deux réponses :
– celle du cabinet d’Elisabeth Borne qui ne se prononce pas, renvoyant la balle vers le ministre des transports et le préfet de région ;
– celle du cabinet de Clément Beaune, datée du 23 octobre, qui tente de nous démontrer que les alternatives proposées à l’A69 (aménagement de la nationale existante et projet « Une autre voie », cf infra) ne répondent pas pleinement aux enjeux du territoire [3].
Peu après, c’est une tribune que nous écrivons et proposons à la signature d’associations partenaires. Intitulée « La poursuite des travaux de l’autoroute Toulouse-Castres : une aberration morale, juridique et institutionnelle », elle est envoyée mi-octobre, avec un dossier de presse, à un très large panel de médias et publiée sur le Club de Médiapart [4].
Début novembre, en vue de contrer le discours de Clément Beaune et consorts visant à délégitimer la poursuite de la lutte, y compris en mentant sur l’état d’avancement des recours contentieux, nous écrivons une lettre ouverte au ministre, publiée sur le Club de Médiapart. Nous écrivons aussi à Arte, pour dénoncer manque de rigueur et mauvaise foi caractérisée au cours de l’une des émissions qui a traité du sujet.
Une opposition grandissante chez les élus locaux
Contrairement au mythe que Clément Beaune, Carole Delga ou Christophe Ramond cherchent à imposer dans les esprits, les élus locaux sont loin d’être tous pro-autoroute. Dès le mois de juin, un conseiller municipal de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn) mettait en ligne une lettre ouverte exprimant l’opposition d’élus locaux à l’A69. Actualisée en octobre, la lettre a été signée par plus de 320 élus du Tarn et de la Haute-Garonne, y compris des élus du sud tarnais. Le 20 octobre, interviewé par France Bleue Occitanie, le Président du Conseil Départemental de la Haute-Garonne, Sébastien Vincini, appelait Elisabeth Borne à « revoir le projet ».
Pas d’alternative aux yeux de Carole Delga et Clément Beaune
Le mois d’octobre a été émaillé de rendez-vous entre les opposants au projet et les responsables politiques ou représentants de l’Etat (Carole Delga, Clément Beaune, les préfets), en vain… Même le rendez-vous entre la délégation de l’Atecopol, dont deux économistes, et Carole Delga n’a porté aucun fruit. « C’est comme si notre parole ne comptait pas » a témoigné Laure Teulières, co-fondatrice de l’Atecopol et ancienne administratrice des Amis de la Terre Midi-Pyrénées.
Et pourtant ce n’est pas faute de proposer une alternative pour les terres expropriées ! Le collectif « La voie est libre » a ainsi conçu, avec l’aide du paysagiste et urbaniste tarnais Karim Lahiani, un projet alternatif conjuguant notamment véloroute, ajout d’arrêts de train supplémentaires entre Toulouse et Castres avec augmentation de la fréquence, plantation d’arbres et de haies bocagères, etc. Malgré toutes ses qualités, le projet a été rejetée.
Et maintenant ?
Suite au week-end de mobilisation du mois d’octobre, qui s’est soldé par une expulsion musclée des personnes qui tentaient d’occuper une ferme expropriée, suite à la manifestation du 9 décembre, suite un boycott (controversé et forcément limité) des produits Pierre Fabre, doit-on considérer que tout espoir est perdu ? Non, d’autant que les recours ne sont pas épuisés (voir article de Patrice Etave ci-après) et que l’expérience montre que sphère politique et sphère juridictionnelle ne sont pas étanches. Il est donc important de continuer à mettre la pression sur les pouvoirs publics. L’article ci-après de Flore de la Prairie vous propose d’interpeller les responsables politiques pour demander à respecter la trajectoire zéro artificialisation nette, car l’A69 la met en péril.
Par ailleurs, depuis le 7 novembre une pétition est en ligne sur la plateforme de l’Assemblée Nationale (voir texte ci-dessous). Comment ça marche ? Chaque pétition est attribuée à l’une des huit commissions permanentes de l’Assemblée nationale, en fonction de la thématique qu’elle aborde. Après attribution de la pétition à une commission thématique, ses membres désignent un député-rapporteur qui propose ensuite soit d’examiner le texte au cours d’un débat faisant l’objet d’un rapport parlementaire, soit de rejeter la pétition. Jean-Marc Zulesi, député Renaissance, président de la commission du développement durable et aménagement a pris l’engagement en juillet 23 d’organiser un débat pour toute pétition atteignant 10 000 signatures. Dès le seuil de 100 000 signatures, les pétitions sont mises en ligne sur le site de l’Assemblée nationale pour plus de visibilité. Enfin, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale peut également décider d’organiser un débat en séance publique sur une pétition ayant recueilli au moins 500 000 signatures, issues d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer.
Au moment où ces lignes sont écrites, le compteur atteint plus de 48 000 signatures.
[1] L’une pour l’aménagement de l’A680 entre Toulouse et Verfeil, l’autre pour l’A69, à savoir la création d’une nouvelle liaison autoroutière entre Verfeil et Castres).
[2] ATelier d’ECOlogie POlitique, association de chercheurs toulousains travaillant de façon transdisciplinaire sur les causes et les effets des bouleversements écologiques.
[3] Le courrier et les réponses sont accessibles sur notre site, dans la rubrique « transports »
[4] idem