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Métropolia : comment en est-on arrivé là ?




par « Flore Dupré »

Lors des discussions de notre dernière AG, nous avions décidé de faire un cycle de plénières-conférences sur le thème de la métropole en quête d’une croissance perpétuelle. De cet impératif de développement effréné est née une ville gigantesque, dépassée par ses propres problèmes dont beaucoup sont quasiment insolubles (engorgement, étalement, pollution, déchets …). Nous avons proposé un nom pour désigner ce monstre urbain : Métropolia . Avant de réfléchir à d’autres modèles urbains qui pourraient être une alternative vivable et viable à Métropolia, nous vous proposons pour l’instant de revenir sur les mécanismes qui nous ont conduit (et continuent encore d’ailleurs) à l’impasse actuelle.
Suite à mon départ de la région qui m’empêche d’organiser les conférences promises, je vous propose un article d’analyse sur le phénomène de la métropolisation.

La réflexion que nous avons, au sein des Amis de la Terre, sur le phénomène de métropolisation rejoint le questionnement suivant : quelle est l’organisation territoriale la plus écologique ? On peut facilement dégager quelques conditions essentielles à celle-ci :
 des formes urbaines compactes, c’est-à-dire où les bâtiments sont le plus regroupés possible afin de limiter à la fois les déperditions d’énergie au niveau de leurs enveloppes ainsi que l’étendue des voiries et réseaux qui les alimentent ;
 une organisation qui limite les besoins en déplacements, c’est-à-dire non seulement les trajets domicile-travail mais aussi les trajets vers les commerces, les services, les loisirs, ainsi que les flux « travail-travail » (entre diverses entités administratives, économiques, etc.).

Pourtant, une organisation territoriale écologique nécessite un minimum de centralité, c’est-à-dire à la fois une densité urbaine ainsi qu’une mixité de ce que l’on appelle les fonctions urbaines (habitat, commerces, services, loisirs, lieux de travail...). Mais à quelle échelle doit se développer cette centralité ?

Avant l’avènement de l’automobile, par la force des choses, l’organisation sociale se traduisait dans l’espace d’une manière très différente d’aujourd’hui. Les possibilités de déplacements étant beaucoup plus limitées, ce que l’on appelle les « bassins de vie » étaient beaucoup moins étendus. Dans les villages, les centre-bourgs étaient plus peuplés et les fonctions urbaines plus prégnantes (diversité commerciale, écoles, bureaux de Poste, etc...). N’habitaient hors de la ville que les agriculteurs.

De cette organisation du territoire faite de centralités beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus modestes, nous sommes passés à une polarisation sans précédent. Les aires urbaines [1]. des métropoles sont toujours plus grandes et atteignent des chiffres vertigineux : en 2011, celle de Toulouse, la 4e de France, regroupait 453 communes pour environ 1 232 400 habitants, loin derrière celle de Paris qui englobait 1 798 communes pour 12 223 000 habitants, soit le cinquième de la population française ! Depuis quelques années, les planificateurs se soucient de freiner l’étalement urbain (c’est-à-dire la croissance d’une ville « horizontale » et peu dense) pour s’orienter vers un urbanisme compact (construction de logements dans les villes-centres pour limiter les besoins de déplacement) et cohérent avec l’offre de transports en commun. Certes, toutes choses égales par ailleurs, mieux vaut construire de nouveaux logements collectifs sur le territoire de Toulouse que des lotissements-dortoirs éloignés de la ville centre. Mais justement le postulat de la croissance de Métropolia est-il le bon ? Son développement est-il inexorable ? Et est-il souhaitable, d’un point de vue écologique notamment ? Pour répondre à ces questions, survolons la genèse des métropoles.

 Au commencement était la ville

Dans une société sans hydrocarbures à exploiter à foison, comme nous l’avons dit, les centralités étaient à la fois plus petites (en proportion de la population nationale, qui a bien sûr fortement augmenté depuis) et plus nombreuses. Parmi celles-ci, la figure de la ville s’est distinguée des banales bourgades par sa fonction de défense (grâce à ses remparts) ainsi que comme siège du pouvoir. Cette dernière fonction a d’ailleurs donné lieu à une forme d’arrogance citadine dès l’Antiquité, comme en témoigne la légende de la Tour de Babel. La taille d’une ville, les dimensions et l’architecture de ses bâtiments et monuments ou encore la hauteur de ses remparts ont toujours été des marqueurs symboliques de la puissance des édiles de la cité.

 Lorsque la ville devient moteur du développement économique

En plus de la Tour de Babel, l’Antiquité a aussi vu le développement d’une ville cœur d’Empire avec Rome. Regroupant un million d’habitants, ce monstre urbain pour l’époque ne pouvait survivre qu’en s’alimentant des richesses issues des territoires conquis (esclaves et matières premières). Il est frappant de faire le parallèle avec le fait que dans notre société industrielle, l’existence des métropoles est justifiée dans le discours des pouvoirs publics comme lieu de création nette de richesse. En effet, l’une des théories de l’aménagement du territoire est que la polarisation est nécessaire au développement économique, notamment du fait des synergies qu’elle permet d’une part entre les grandes fonctions tertiaires (universités, administrations, banques, services aux entreprises) et les activités économiques ainsi que, d’autre part, entre les entreprises elles-mêmes (logique de « clusters »). Le Cancéropôle est une bonne illustration de cette logique. La polarisation des activités va de pair avec la polarisation des transports qui peuvent ainsi relier toujours plus vite quelques pôles (« hubs ») entre eux. Les deux phénomènes, polarisation des activités et polarisation des transports, se renforcent mutuellement.

L’autre composante de la vision de la métropole créatrice de richesses est que l’arrière-pays est censé bénéficier des effets d’entraînement du dynamisme de la métropole (la « ville-mère »). Il est à noter que la notion de « responsabilité motrice » de la métropole vis-à-vis de la région Midi-Pyrénées apparaît de façon explicite parmi les objectifs que le Conseil de développement du Toulouse Métropole assigne à celle-ci. De façon similaire, on peut lire dans le SCOT (schéma de cohérence territoriale) des Rives du Rhône (territoire voisin de l’agglomération lyonnaise) : « Inscrit dans des dynamiques socio-économiques dépassant largement ses limites administratives, le développement du territoire dépend aujourd’hui fortement du devenir de la métropole lyonnaise, confrontée à la concurrence grandissante des grandes métropoles européennes ». Pourtant, cette idée de ville-motrice ou ville-mère entraînant ou alimentant le reste du territoire est largement fallacieuse. Déjà, la politique d’aménagement du territoire est née du souci de contrecarrer le schéma territorial nommé « Paris et le désert français » par le géographe Jean-François Gravier en 1947. C’est dans cette perspective que dès les années 60, les pouvoirs publics décidèrent d’intervenir pour renforcer les métropoles d’équilibre potentielles qu’ils avaient identifiés : Lyon-Saint-Etienne-Grenoble, Aix-Marseille, Lille-Roubaix-Tourcoing, Bordeaux, Nantes-Saint-Nazaire, Strasbourg, Nancy-Metz et Toulouse. Celles-ci furent suivies en 1973 par cinq métropoles « assimilées » : Rennes, Dijon, Nice, Clermont-Ferrand et Rouen.
Mais alors, pourquoi ce qui est valable à l’échelle du territoire national ne le serait pas à l’échelle des territoires régionaux ? Autrement dit, si on transpose le schéma de « Paris et le désert français » à plus petite échelle, comment est-ce que l’hypertrophie d’une métropole régionale n’entraînerait-elle pas la « désertification » de l’arrière-pays régional ? De plus, cette image nouvelle d’une métropole locomotive et non vampire occulte le fait que le développement de la métropole reste toujours tributaire du reste du monde pour son alimentation, son approvisionnement énergétique ainsi que pour les matière premières nécessaires à ses industries. A ce titre, il est intéressant de souligner que la ville de Toulouse, dans les années 50, était encore autosuffisante en alimentation et en énergie. On est loin du compte aujourd’hui !

 Rayonnement international et compétitivité

A l’heure où les régulations étatiques s’affaiblissent et où la guerre économique se déploie à l’échelle mondiale, Metropolia doit grossir si elle ne veut pas mourir. Les territoires sont pris comme jamais dans une logique de concurrence et de marketing territorial afin d’attirer étudiants, entrepreneurs innovants, investisseurs, touristes... Alors que pendant long-temps, les politiques nationales et européennes ont cherché à contrebalancer le phénomène de polarisation en intervenant en faveur de tous types de territoires, la stratégie de Lisbonne, formalisée par les Etats membres de l’Union européenne en 2000 marque un changement de cap. Il s’agit désormais de cibler les crédits sur des pôles de compétitivité en vue de construire une « économie de la connaissance » très compétitive sur le plan mondial. De nos jours, de même que la plupart de nos élites croient qu’une croissance économique infinie est possible dans un monde fini, ces élites doivent sans doute croire que l’économie de la connaissance est immatérielle et qu’il s’agit d’une citadelle imprenable dans le contexte de guerre économique mondiale. Là encore, les choix budgétaires du nouveau maire et président de la communauté urbaine de Toulouse Métropole illustrent à mer-veille cette foi dans l’économie de la connaissance. Alors qu’il a décidé de restreindre fortement la masse salariale pour cause de contraintes budgétaires inédites, il s’offre un encart publicitaire de 35 000 euros dans le journal « Le Monde » afin de vanter les talents de la ville : « Toulouse et son Université rayonnent sur la carte mondiale de l’économie grâce à Jean Tirole et son équipe. (...) ». Sans doute que M. Moudenc arguerait qu’il n’y a pas de contradiction en ce sens que cette dépense est un investissement comme toute action de marketing territorial qui générera, par effets induits, de nouvelles recettes pour la ville. Mais dans quelle proportion ? A quelle échéance ?
En réalité, il est difficile de démêler, dans ces démarches, ce qui relève de motivations rationnelles et ce qui relève de la soif de prestige de nos édiles locales. Il est certain en tout cas que ce dernier paramètre n’est pas négligeable dans le développement des métropoles.

 Concurrence sans fin

Le virage assumé dans la politique de redistribution territoriale remet y compris en cause la doctrine des métropoles d’équilibre. La logique de polarisation est poussée à l’extrême en créant les conditions d’une nouvelle poussée de croissance de l’agglomération parisienne pour asseoir son rang au niveau mondial et ainsi...entraîner le reste de la France. Pour mémoire, ce n’est pourtant pas comme cela que Jean-François Gravier analysait les conséquences de l’hypertrophie de Paris. Autres temps, autres façons de penser ? Outre les 205 km de nouvelles lignes de VAL, la loi du Grand Paris ne prévoit rien de moins que de doubler la production annuelle de logements en Ile-de-France. L’alibi des retombées sur le reste du territoire n’est-il pas une fois de plus un moyen de masquer des velléités de prestige ? Comme le souligne Philémon dans le n°5 de l’an 02 : « On peut suivre la course sans fin entre Londres et Paris, qui dure depuis le Second Empire : qui a le plus d’habitant-e-s ? Qui a les transports les plus rapides ? Qui accueille le plus de chercheurs/ses ? Le plus de sièges sociaux ? Le plus de touristes ? »

 Colosses aux pieds d'argile

Jusqu’où les métropoles grossiront-elles avant de s’effondrer (comme l’empire romain s’est lui-même effondré) ? La taille des métropoles les rend extrêmement vulnérables à tout un tas de risques : vulnérabilité accrue en cas d’épidémie ou d’attaque terroriste mais surtout extrême dépendance aux transports et aux réseaux d’énergie.
De plus, lorsque cette polarisation se double d’une spécialisation dans un ou quelques domaines d’activité (aéronautique, nanotechnologies...) la vulnérabilité aux chocs économiques s’en trouve accrue. Notre région compte elle-même quelques exemples de villes mono-industrielles (Mazamet, Graulhet...) ayant décliné suite à un retournement de conjoncture. A une échelle plus importante, on peut citer la ville de Détroit, plongée dans le marasme, vidée d’une partie importante de ses habitants et ayant frôlé la faillite suite au déclin de l’industrie automobile. Mais les promoteurs des pôles de compétitivité font le pari que si on innove en permanence (l’innovation étant le maître mot), on ne peut pas être rattrapé par les caprices du marché mondial...

  Pour conclure

Alors Metropolia est-elle l’ennemie à combattre ? Ne nous trompons pas de combat : il n’est pas nécessairement moins écologique d’habiter dans une grande ville que dans une petite ville ou à la campagne. L’habitant-e d’un « pôle rural » qui ne se déplace qu’en voiture, fait deux allers-retours domicile-travail par jour, transporte les enfants d’un lieu à l’autre, va faire ses courses dans une zone commerciale excentrée pour acheter des produits non locaux, hors saison et surgelés et qui habite un pavillon sans cultiver de jardin potager a bien sûr une empreinte écologique autrement plus lourde qu’une habitant-e de Toulouse qui ne se déplace qu’en vélo, habite dans un appartement, achète des produits bios et locaux,etc. Le problème se situe dans le fait que structurellement la taille des métropoles et plus largement la polarisation et la spécialisation des territoires à différentes échelles entraînent un allongement des distances entre les ressources et l’endroit où elle sont consommées, de même qu’elle entraîne allongement des distances entre les différents « lieux de vie » d’une même personne. A la fois résultat et support de la mondialisation, Metropolia est la charpente d’une organisation territoriale qui résulte à la fois de facteurs techniques (les moyens de transports et de conservation modernes, extrême-ment énergivores) et de facteurs institutionnels (dérégulation croissante des échanges économiques, qui sera fortement aggravée si le traité transatlantique est adopté). C’est cette mécanique dans son ensemble que nous devons déjouer. Vaste programme !

[1Une aire urbaine est constitué d’un ensemble de communes dont au moins 40 % des actifs travaillent dans une agglomération


Publié le dimanche 30 novembre 2014.